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Villanelle du diable

À Théodore de Banville.

L'Enfer brûle, brûle, brûle.
Ricaneur au timbre clair,
Le Diable rôde et circule.

Il guette, avance ou recule
En zigzags, comme l'éclair;
L'Enfer brûle, brûle, brûle.

Dans le bouge et la cellule,
Dans les caves et dans l'air
Le Diable rôde et circule.

Il se fait fleur, libellule,
Femme, chat noir, serpent vert
L'Enfer brûle, brûle, brûle.

Puis, la moustache en virgule,
Parfumé de vétyver,
Le Diable rôde et circule.

Partout où l'homme pullule,
Sans cesse, été comme hiver,
L'Enfer brûle, brûle, brûle.

Là, flottant comme une bulle,
Ici, rampant comme un ver,
Le Diable rôde et circule-

il est grand seigneur, crapule,
Écolier ou magister.
L'Enfer brûle, brûle, brûle.

En toute âme il inocule
Son chuchotement amer
Le Diable rôde et circule.

Il promet, traite et stipule
D'un ton doucereux et fier,
L'Enfer brûle, brûle, brûle.

Et se moquant sans scrupule
De l'infortuné qu'il perd,
Le Diable rôde et circule.

Il rend le bien ridicule
Et le vieillard inexpert.
L'Enfer brûle, brûle, brûle.

Chez le prêtre et l'incrédule
Dont il veut l'âme et la chair,
Le Diable rôde et circule.

Gare à celui qu'il adule
Et qu'il appelle « mon cher ».
L'Enfer brûle, brûle, brûle.

Ami de la tarentule,
De l'orabre et du chiffre impair,
Le Diable rôde et circule -

- Minuit sonne à une pendule
Si j'allais voir Lucifer ?...
L'Enfer brûle, brûle, brûle;
Le Diable rôde et circule !

Maurice Rollinat
Les Névroses, 1883.

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