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Au chat Noir

Le deuxième événement important de 1878 pour Rollinat, c'est la fondation, par Émile Goudeau et le groupe dont je viens de parler, auxquels bien d'autres vont se rallier, du club des « Hydropathes ». Plusieurs explications sont données à ce mot, je préfère nettement les plus étymologiques : les Hydropathes souffrent par l'eau ; ou bien, par antiphrase, ils soignent par l'eau ; ce qui est clair, c'est qu'ils pensent qu'il vaut mieux boire autre chose. Ils se réunissaient souvent dans des cafés pour discuter de littérature et de politique et pour dire leurs vers ou même les chanter - leurs vers, ou ceux d'autres poètes : Rollinat, en particulier, a mis en musique plusieurs poèmes de Baudelaire. Comme pour ses propres textes, ses partitions, sont introuvables ou difficilement accessibles.

C'est en 1881 que Rodolphe Salis fonda avec les Hydropathes, en particulier Émile Goudeau, Le Chat Noir dans un minuscule local du boulevard Rochechouart. Rollinat en devint l'un des habitués, et Alphonse Allais et Bruant et beaucoup d'autres. Une sacrée équipe ! Je reparlerai tout à l'heure du style impressionnant de Rollinat dans ces soirées du Chat Noir.

Quelques mois après le relatif échec des Névroses, Rollinat retourna en Berry. 

Hors de Paris, mon cœur s'élance,
Assez d'enfer et de démons :
Je veux rêver dans le silence
Et dans le mystère des monts.

Barde assoiffé de solitude
Et bohémien des guérets,
J'aurai mon cabinet d'étude
dans les clairières des forêts.

Et là, mes vers auront des notes
Aussi douces que le soupir
Des rossignols et des linottes
Lorsque le jour va s'assoupir.

Extrait de À travers champs

Barde assoiffé de solitude, certes, mais il emmène une certaine Cécile avec lui. C'était une petite théâtreuse, comme les bourgeois disaient à l'époque, qui vécut tendrement avec lui pendant vingt ans, c'est-à-dire jusqu'à leur mort. Il élut domicile avec elle à Fresselines. Il n'eût point été convenable qu'il s'installât avec sa maîtresse dans la maison paternelle... Ce fut une chance pour Fresselines et pour la région, car il y reçut souvent ses amis artistes : des peintres surtout, Claude Monet, en particulier, qui peignit plus de vingt paysages de cette région de la Creuse, œuvres aujourd'hui dispersées, mais aussi quelqu'un comme Rodin. Il continua lui-même à publier des poèmes et écrivit deux livres en prose, publiés juste après sa mort : En errant et Les Ruminations. On dirait aujourd'hui qu'il contribuait puissamment à l'animation culturelle de sa ville et de son Berry natal.

Cécile Pouettre et Maurice Rollinat eurent tous les deux une triste fin. Cécile mourut dans des souffrances atroces, peut-être était-elle atteinte de rage. Maurice, très peu de temps après, tenta deux fois de se suicider, fut transporté dans une maison de santé d'Ivry et s'éteignit le 26 octobre 1903. Est-il mort fou ? Non, il est mort « triste infiniment mais lucide comme le jour, scrutant avec clairvoyance le déséquilibre de son cœur et de ses nerfs », c'est du moins ce qu'affirme Pierre Espil dans un bulletin de l'Association des Amis du poète, résumant ainsi, précise-t-il, l'opinion des médecins.

C'est l'année même de la mort de Rollinat que Rodin fit don à la ville de Fresselines du bas-relief auquel j'ai fait allusion tout à l'heure. Il est intitulé « La Muse et son poète ».

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