Version imprimable

Antonio Machado
Soirée du 25 novembre 2019

 

 

par Isabelle Lillo

 

 

 

 

Le poète espagnol Antonio Machado est mort en février 1939, il y a 80 ans. Cette soirée de lectures est un hommage.
Il avait 23 ans lorsque l’Espagne avait été vaincue par les États-Unis à Cuba et il agonise et meurt en même temps que l’éphémère République espagnole dont il a fêté l’avènement en 1931.

Sous ses yeux, le panorama social est très mauvais… vous avez remarqué les descriptions de la misère des paysans et des campagnes vidées par l’émigration… il a vécu à une époque faste du point de vue intellectuel et artistique (c’est l’époque de Granados, De Falla, Albeniz). Il a écrit des éloges à de grands intellectuels contemporains… on va lire celui à Juan Ramon Jiménez.

Pour beaucoup de Français, c’est le poète chanté par Paco Ibañez et Joan Manuel Serrat.

À l’école en Espagne on apprend par cœur de courts poèmes, comme celui inspiré par Paul Verlaine :
Pegasos, lindos pegasos, caballitos de madera
Yo conocí, siendo niño, la alegría de dar vueltas sobre un corcel colorado, una noche de fiesta.

Pégases, jolis Pégases, petits chevaux de bois
Enfant j’ai connu la joie de tourner sur un rouge coursier en une nuit de fête.

Un jour j’ai découvert le moraliste sévère… mais plein d’humour... l’auteur de distiques lapidaires, car la littérature espagnole est pétrie de stoïcisme.

Lorsque je lis les Champs de Castille, j’entends Chanter… la poésie est musique. Abolissons les frontières entre les arts. La poésie que nous allons lire ce soir est un art lyrique.

 

Antonio Machado, plus qu’aucun autre poète espagnol de son époque, est aussi le poète de la lumière et de la couleur. Il est le contemporain de Joaquin Sorolla, valencien (1863-1923), celui qui peint le travail pénible des pêcheurs sur le littoral (1894) et qui va transporter son chevalet à travers la Castille en 1912 pour préparer sa série intitulée « Vision d’Espagne ».

J. Sorolla, Orage sur Peñalara, Ségovie, 1906

 

*  *  *

Quelques repères

Dans le Prologue de 1917 de Champs de Castille Antonio Machado résume ainsi sa vie :
« Je suis né à Séville une nuit de juillet de 1875 dans le célèbre Palacios de las Dueñas, situé dans la rue du même nom. Mes souvenirs de ma ville natale sont tous enfantins car à huit ans je m’en fus à Madrid où s’installèrent mes parents et je fus élevé à l’Institution libre d’Enseignement. Mon enfance et ma jeunesse sont madrilènes. J’ai voyagé un peu en France et en Espagne. En 1907, j’obtins une chaire de langue française à Soria… »

Son père était un folkloriste reconnu qui collecta des chansons populaires andalouses et les publia. La famille déménagea à Madrid pour qu’Antonio et ses frères Manuel et José fissent leurs études à l’Institution Libre d’Enseignement, fondée en 1876 et dirigée par Francisco Giner de los Ríos, grand ami du grand-père Manuel. Elle offrait une éducation moderne : outre les heures de cours, les élèves faisaient de nombreuses excursions autour de Madrid, dans la Sierra de Guadarrama, dans des musées, des usines, des centres scientifiques, etc. C’est ainsi que l’amour de la nature s’est développé chez Antonio Machado. Toute sa vie il se promènera à pied dans la nature.

Antonio et Manuel ont passé aussi des heures à lire à la Bibliothèque nationale : Lope de Vega, Tirso de Molina, Francisco de Quevedo, Luis de Góngora, San Juan de la Cruz. La poésie et le théâtre sont alors les genres préférés d’Antonio.
Antonio Machado a voyagé, il a séjourné à Paris.

Vous vous êtes peut-être interrogés sur son pessimisme. La génération d’Antonio Machado a essayé d’adapter en Espagne les courants philosophiques européens. C’est le même pessimisme, la même attitude critique que Nietzsche, Schopenhauer, Kierkegaard et Henri Bergson. Dans plusieurs poèmes, Antonio Machado médite sur le passé collectif national et le contemple à travers une galerie de personnages populaires, surtout Caïn.
Dans la série des CANTARES (Chansons) apparaît un trait existentialiste, où l’image du chemin représente le cours de la vie.
Passant, il n’y a pas de chemin,
on fait son chemin en cheminant.
En marchant on fait son chemin
et en se retournant, on voit
derrière soi la sente où jamais plus
on ne posera son pied.
(XXIX)

Parmi ceux de sa génération, c’est le poète de la moralité. Certains de ses poèmes rassemblés sous le titre Proverbes, chansons et paraboles ont un ton de stoïcisme populaire :

Les hommes appellent
vertu, justice et bonté,
ce qui pour moitié est de l’envie
et le reste n’est pas de la charité.
(VI)

1907
Antonio Machado fut nommé professeur de français le 16 avril 1907 au lycée de Soria. Il avait 32 ans. Cette étape 1907-1912 fut décisive pour sa vie et sa poésie. Soria, c’est le temps de la maturité et de l’amour.
Il écrivit dans sa préface : Cinq ans sur la terre de Soria, aujourd’hui sacrée pour moi – là je me suis marié, là j’ai perdu mon épouse, que j’adorais – ont orienté mes yeux et mon cœur vers l’essence castillane.

À Soria il faisait de nombreuses promenades dans la vieille ville et dans les alentours, dont il décrivit le panorama immense vu depuis l’ermitage et surtout le chemin bordé de peupliers le long du Douro. Il s’éloignait en même temps de l’intimisme de sa poésie précédente : le moi et ses souvenirs passèrent au second plan.
Vivant désormais dans la sévérité de la Castille, il avait une attitude métaphysique devant le spectacle du Douro, il se souvenait d’Héraclite, Pythagore et Platon contemplant le fleuve, il se souvenait de la caverne…

1912
Leonor, la toute jeune épouse, souffrit d’une longue maladie et elle mourut en août 1912. Machado exprime son chagrin dans plusieurs poèmes, dont « Une nuit d’été... Silencieuse et sans me regarder, la mort repassa devant moi… » (CXXIII).
Il décida de quitter Soria, et il fut nommé au lycée de Baeza en Andalousie, où il s’installa en octobre 1912. Le poème « Souvenirs » fut écrit à cette occasion : Adieu, terre de Soria... 
Il écrivit… Baeza, « un village humide et froid, délabré, sombre, entre l’Andalousie et la Manche ». Sa vie était marquée par le souvenir de Leonor, ce qui apparaît dans le poème intitulé « Chemins » (CXVIII) évoquant Baeza :
Au-delà des vieilles murailles
de la cité mauresque,
je contemple le soir silencieux,
seul avec mon ombre et avec ma peine.
[…] Ah, je ne peux hélas cheminer avec elle !

1931
En octobre le gouvernement républicain le nomma à Madrid où il put vivre avec sa famille. Il préparait des comédies avec son frère Manuel et écrivait moins de poésie. Il publia sous les noms d'Abel Martín et de Juan de Mairena de brefs essais qui témoignent encore de ses préoccupations philosophiques. Et puis ce fut la guerre…

(LXXXVIII)
En rêve, peut-être, la main
du semeur d'étoiles
a fait résonner la musique oubliée
comme une note de l'immense lyre,
et l'humble vague à nos lèvres est venue
de quelques paroles vraies.