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Paul-Jean Toulet
Soirée du 15 février 2016

 


Par Christian Richard

 

Enfance et adolescence en Béarn

Né à Pau le 5 juin 1867, Paul-Jean Toulet perd sa mère deux semaines plus tard et sera confié par son père, retourné sur ses plantations à l’lle Maurice, à un oncle et un grand-père, à Bilhères. Scolarisé tout près, à Pau, chez les Dominicaines, puis au lycée, il en est renvoyé pour mauvaise conduite et doit finir sa scolarité à Bordeaux, puis Saintes, où il écrit un article sur un salon de peinture dans Le phare des Charentes. Il revient pour les vacances dans la villa familiale béarnaise. Sur ses années d’enfance, il écrira : « sur mes 6 ans, sensuel déjà, déjà nostalgique » et « quel orgue, une âme d’enfant, jusqu’à la première femme qui en joue et le fausse ». Il relatera aussi, pour 1885, ses premiers ébats amoureux avec deux jeunes filles en mai, ses pertes à la roulette en août, et la fréquentation d’une maison close en octobre. Un premier poème écrit vers 1880, et voilà déjà bel et bien notre Toulet.

Voyages

Ses études terminées, il est appelé par son père à l’Ile Maurice et fait son premier achat de drogue lors de l’escale à Aden. Jusqu’à son départ en octobre 1888, il y aura une vie facile, de lectures, de jeu, d’aventures amoureuses et de drogue, principalement le ganja. Le voyage de retour le mène à Alexandrie et aux pyramides, puis à Marseille, avant de repartir pour Alger et un an de vie d’étudiant, pensionné par son père. C’est un séjour marquant : il fréquente les spectacles, collabore à l’écriture de La servante de Molière, pièce jouée dès janvier 89, ainsi qu’à trois revues, qui publient ses poèmes et cinquante-six articles sur la Révolution. Il pratique le spiritisme et multiplie les expériences sexuelles. Le feu de ses rêves et désirs effrénés le mène déjà à une certaine lassitude, dont on ne peut s’étonner, aux amours qu’il nous conte ici (lire le poème « A une vieille garde », de 1889).

Retour en Béarn

De retour en Béarn, il s’évade le plus possible pour Pau, où il rencontre Francis Jammes et dilapide l’héritage maternel en longues nuits de danses, flirts, beuveries, jeux. Ses amis le décrivent alors comme un esprit cultivé, farceur, pince-sans-rire, cruel et bohème. Ces neuf années ne donnent lieu qu’à une publication en revue, Un serf, à des séjours chez sa sœur Jane au château de la Rafette, à St-Loubès, à un voyage en Espagne (1891), évoqué, comme le château, dans Les contrerimes, et un à Paris (1892), où il fait la connaissance de Maurras et de Toulouse-Lautrec.

À moi Paris !

À la fin de l’été 1898, Toulet, qui n’est déjà plus un dandy jeune et aisé, arrive à Paris, pour y chercher la fortune littéraire. Il y écrit rapidement le roman Monsieur du Paur homme public, pour la publication duquel il signe dès le 19 octobre. Fréquentant bars et brasseries, il y rencontre le critique gastronomique Curnonsky, s’installe avec lui et trois autres amis rue de Villersexel, puis, en 1903, près de St-Augustin. Il visite les spectacles et expositions, vit en noctambule et se lie avec L. Daudet, J.-L. Vaudoyer, E. Henriot, J. Giraudoux, L. de la Salle, qui le décriront ainsi : « recroquevillant dans les bars sa solitude et ressassant peut-être sa jeunesse et ses amours mortes ; d’un maintien aristocratique, plein d’humour et de dédain ; s’exprimant en phrases courtes, sèches, péremptoires, cuisantes et incisives ; bretteur, duelliste, fréquentant les gens du monde, fuyant le bourgeois et descendant volontiers dans la bohème ».

De 1899 à 1907, Toulet collabore régulièrement à La Vie parisienne, y donnant des chroniques et des chapitres de romans, Mon amie Nane, en livre en 1905, Les tendres ménages, en 1904, Les demoiselles de la Mortagne, en 1923, ainsi que les romans coécrits avec Curnonsky, Le bréviaire des courtisanes, Le métier d’amant, Demi-veuve. Il fait aussi paraître, en 1902, Le mariage de don Quichotte. Il écrit en 1901 La jeune fille verte, roman très béarnais et quasi balzacien qui, objet de six suppléments à la revue Les écrits nouveaux en 1918-19, sera remanié pour le volume de 1920 ; puis, entre 1903 et 1910, ses contes, dont certains paraîtront en revue et formeront ensuite le recueil Comme une fantaisie, paru en 1918. Quelques-uns de ses poèmes paraissent aussi dans des revues.

Nouveaux voyages

Fin 1899, Toulet visite Londres pour y rencontrer Arthur Machen, dont il a entrepris la traduction du roman Le grand dieu Pan, qui paraîtra en 1901, en revue puis en volume, Machen qui confiera plus tard « Toulet me donna l’impression d’être un homme mélancolique, un homme pour qui le monde était un exil ». Un voyage en Belgique et en Allemagne a lieu en avril 1902, puis, de novembre 1902 à août 1903, celui en Extrême Orient, avec Curnonsky, qui couvre pour son journal l’exposition universelle d’Hanoï. Il visite l’Indochine, Singapour, les Philippines, la Chine, Ceylan et l’Inde, et en rapporte un carnet de voyage. Alors qu’il avait déjà connu une rémission dans ses addictions, alcools et drogues, début 1901, il va, au retour d’Asie, se détacher de ces dernières, surtout de l’opium. Mais il rechutera et connaîtra encore éther, laudanum, rhum et cognac.

Une confidente admirée

Augustine Bulteau est la confidente qu’il continuera à respecter et admirer après la fin de leurs relations en 1904, peut-être parce qu’elle aura percé les secrets de son mal de vivre. Héritière riche et divorcée, elle tient un salon fréquenté par de nombreux artistes et écrivains, dont Henri de Régnier, ami et correspondant d’un Toulet qui y fut admis au printemps 1901, pour goûters, dîners et conversations, et qui eut aussi, avec la maîtresse de maison, des entretiens confidentiels et échanges épistolaires. Après la mort du poète, la confidente dit qu’il « avait été le propre artisan de sa déchéance physique, de sa longue maladie, de sa fin lente et prématurée ».

Retraite active

À partir de 1908, Toulet devient collaborateur, mal payé, de Willy, pour La tournée du petit duc (1908), Maugis en ménage, Lélie fumeuse d’opium (1911), L’implacable Siska et Les amis de Siska (1914).

Son pessimisme augmenté par l’échec littéraire et financier, Toulet quitte Paris en juillet 1912, pour se réfugier chez sa sœur, une retraite qui fait l’objet du cœur du poème à lui consacré dans le recueil de Francis Carco A l’amitié (1937). [ici, lecture...]. Francis Carco pousse Toulet à rassembler ses Contrerimes (poèmes le plus souvent de trois quatrains, en strophes 8-6-8-6 rimées abba, à contre-longueur, forme peu utilisée jusque là, qui donne un élan et une rapidité impossibles aux strophes à vers égaux - PO. Walzer). Un recueil doit être publié dans une collection consacrée aux cinq fantaisistes, les deux précités, J. Pellerin, T. Derème et J.-M. Bernard, et qui, faute de succès et de financement, sera limitée aux seuls Derème et Carco, alors que le manuscrit de Toulet est égaré et doit être reconstitué pour publication en 1921, à l’initiative d’Henri Martineau. Le n° 15 (novembre 1910) de la revue de ce dernier, Le Divan, contient déjà deux chansons et sept contrerimes de Toulet, et celui de juillet-août 1914 lui est entièrement consacré.

Par solidarité et malgré sa tuberculose, Toulet veut s’engager, mais doit y renoncer. Il se marie le 12 juin 1916 avec une ancienne maîtresse, fille d’un restaurateur de Guéthary, où il s’installe dans une villa. Il en sort très peu, y reçoit quelques amis, dont C. Debussy et P. Valéry, prévoit, mais sans le réaliser, d’écrire un livre d’essais et anecdotes se rapportant à la littérature, l’histoire et ses souvenirs personnels. Il continue de collaborer à quelques revues, lit des livres d’art, des catalogues de musées ou ventes publiques qu’il se fait envoyer par ses correspondants, Carco, puis Henriot et, à compter du début de 1918, le comte René Philippon, un des premiers lecteurs de Comme une fantaisie, qui lui fournit aussi romans, tabac et, comptes-rendus de la vie parisienne. Il cherche aussi leur médiation pour essayer de sauver l‘importante propriété agricole dont il possède un quart en Indochine. Il avait espéré une amélioration de ses finances de la réalisation d’un projet d’opéra de 1902, Comme il vous plaira, avec Debussy qui n’a l’accord d’un producteur qu’en 1917, et pour une pièce de théâtre. Alors que Toulet a entrepris, dès 1902 et à partir du As you like it de Shakespeare, l’écriture du livret, dont des extraits seront publiés en revue en 1922, la maladie et la mort, en 1918, du compositeur, ne permettront pas l’écriture de la musique de scène.

Toulet, lui, est emporté le 6 septembre 1920 par une hémorragie cérébrale, une dizaine de jours avant un voyage à Paris, prévu pour une première rencontre avec le comte, son admirateur.

Au rang des œuvres publiées post mortem seront le recueil de réflexions et aphorismes Les trois impostures, la pièce Le dîner interrompu (1922) et les Notes d’art (1924) et Notes de littérature (1926), compilations des chroniques parues en revues.

Quelques commentaires sur son œuvre

Cette œuvre est fondée sur ses impressions de la nature et de l’art, ainsi que sur la mort et l’amour, ou ses amours, surtout adultérines, tarifées et ancillaires :

- Jean-Louis Vaudoyer en 1914 : « Ceux qui préfèrent l’effet à la nuance ; ceux qui, pour une ligne nue et souvent grossière, délaissent les ornements et les raffinements de l’expression ; ceux encore qui n’aiment point que l’écrivain se cache assez bien au lecteur pour qu’il croie parfois que l’écrivain se moque un peu de lui ; ceux enfin que déconcerte la poésie quand elle n’est pas la romance ; ceux-là disent, avec dédain, des livres de P.-J. Toulet : “C’est de la littérature !” »

- Francis Jammes, dans le portrait de Toulet donné dans ses Leçons poétiques en 1930 : « Toulet fut un grammairien, mais de génie. J’en appelle à la savante et brève structure de sa strophe, à la souplesse de sa syntaxe, en vers et en prose, à des raccourcis qui révèlent une haute culture classique, à la sobriété qui intensifie chez lui la sensation...  »

- Frédéric Martinez, dans sa biographie de 2010, Prends garde à la douceur des choses ; Paul-Jean Toulet, une vie en morceaux  : « L’homme qui voulait prendre garde à la douceur des choses se rendit à celle des mots », puis « Maîtriser la langue à défaut d’avoir prise de la vie, voici peut-être le véritable enjeu de son œuvre, celle d’un poète authentique », et encore, rares propos, avec celui de Vaudoyer, sur Toulet et Proust : « Proust agaça Toulet, Toulet agaça Proust. Ces deux oiseaux de nuit à la santé fragile se ressemblent peut-être un peu trop pour vraiment s’apprécier ».

Principaux ouvrages consultés Lire Toulet

- Francis Carco, L’amitié avec Toulet, éd. Le Divan, 1934
- Paul-Jean Toulet, Œuvres complètes, éd. Robert Laffont, 1986
- Frédéric Martinez, Prends garde à la douceur des choses : Paul-Jean Toulet, une vie en morceaux, éd. Tallandier, 2008

Plusieurs éditions des Contrerimes et des œuvres complètes sont disponibles.

Sur la Toile, fac-similés sur BnF-Gallica et nombreux poèmes sur divers sites, notamment sur Wikisource, Florilèges, Poésie webnet, Poetica...

Ont participé aux lectures  :
Francine Lafargue, François Besnard, Serge Dinerstein, Jean Rouyer, Yves Alain, Jean-François Marsat-Subrini, Pierre Daumas, Henri Tomas, Pierre Blavin, Nicole Durand, Jeanne Marie, Thierry Sajat, Françoise André, Adrien Cannaméla, Elfriede Dubort, Jean-François Blavin, Philippe Martineau. 

 Vous pouvez lire ici quelques-uns des poèmes choisis parmi ceux qui ont été lus à la Cave à Poèmes.

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