Version imprimable

Les deux scarabées

C'était exactement à cette heure sorcière
Où les parfums des champs rouvrent leur encensoir,
Quand l'espace alangui baigne son nonchaloir
Dans la solennité rouge de la lumière.

Le soleil allumant les bruines d'été
Que les feuillages lourds buvaient comme une éponge
Faisait en ce moment le paradis du songe
De l'humble jardinet si plein d'intimité.

C'est alors qu'un rosier m'offrit l'enchantement
De petites bêtes robées
D'émeraude et de diamant :
Je pus assister longuement
Aux amours de deux scarabées.

Ils semblaient, se joignant avec un air humain,
Dans la torpeur de la caresse
Couver en eux sur leur couchette de carmin
Tout l'infini de la tendresse.

Et je rêvai d'amants défunts dont les baisers
Se recontinuaient en leur métempsychose,
Devant ces deux petits insectes enlacés
Qui s'adoraient ainsi dans le cœur d'une rose.

Maurice Rollinat
Les Apparitions, 1896.

PrécédentSuivant