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Conclusion

Rollinat et la critique, Rollinat et nousCe dernier poème, La belle fromagère, semble vous avoir diverti et vous l'avez applaudi, réunissant, je le suppose, dans une même approbation et le poète et l'interprète... Eh bien, ce poème, Barbey d'Aurevilly, pourtant ferme soutien de Rollinat, aurait voulu ne pas le lire dans Les Névroses ! Il déplore « la malpropreté du fromage mêlé à l'amour. Il fallait laisser, continue-t-il, les fromages à M. Zola. M. Maurice Rollinat ne l'a pas fait. Je le regrette pour la gloire de son livre. » Le mélange du trivial et du raffiné, considéré d'ailleurs comme une caractéristique du décadentisme dans lequel Rollinat se trouvait classé (en excellente compagnie !), posait problème aux meilleurs esprits...

Quand on prend connaissance des opinions émises par les critiques et écrivains de l'époque, on se rend bien compte de l'importance prise par l'apparition météorique de Rollinat dans le monde de la poésie entre 1877 et 1883. Il y eut bien deux camps, celui des détracteurs et celui, sinon des thuriféraires, du moins de ceux qui, manifestement, ont été séduits par le moustachu berrichon.

Sur un point, détracteurs et partisans s'accordent : Rollinat est un excellent versificateur et si certains regrettent qu'il ait en quelque sorte bridé son imagination en abusant du rondel, tous admettent le talent qu'il y déployait. Comme le disait Théophile Gautier, « M. Maurice Rollinat s'est emparé en maître du rondel, [...] lisez ce rondel intitulé La Belle Porchère, et dites s'il ne ressemble pas à un excellent Millet ? ».

Autre point où un large accord semble se dégager : la langue est pleine d'aisance, souvent belle, même si certains, même parmi les partisans, déplorent çà et là telle ou telle impropriété de terme.

Les détracteurs, mais aussi des critiques qui reconnaissent le talent du poète, se déchaînent sur la question des limites à ne pas dépasser, selon eux. Ainsi, pour Jean de Prouvaire, « Il nous semble que Maurice Rollinat, - un poète de talent - eût mieux fait de ne pas dépasser les limites de la parodie courtoise, et qu'il est certaines choses dont il ne faut pas rire, même pour rire ». Léon Séché, lui, n'a pas été incommodé que par les fromages. Voici ce qu'il dit de l'ensemble des Névroses avant de revenir à un ton plus mesuré : « je n'ai rien trouvé dans le volume qui m'ait véritablement empoigné ; en revanche, la plupart des morceaux m'ont profondément écœuré. »

La principale critique porte sur insincérité et imitation. On peut lire dans un article anonyme :
« M. Rollinat, [...] ce monde d'hallucinations est-il bien le vôtre ? J'en doute, vos vers ont de l'ampleur, de la souplesse mais que d'excentricités ! Quel goût faux et malsain ! ». Parmi d'autres, Félix Frank lui reproche d'emprunter la défroque de Baudelaire. À quoi Louis de Villotte rétorque : « Parcourt-on ces vers, on ne peut se défendre de songer à Baudelaire et à Edgar Poe [...]. Les approfondit-on, au contraire, on découvre que le poète est bien lui [...]. [...] un poète d'avenir, qui, sous l'impulsion vigoureuse d'un talent solide, a fièrement réagi contre l'eau distillée de l'amphore parnassienne. » Barbey d'Aurévilly va plus loin. Il affirme : « Inférieur peut-être à Baudelaire pour la correction lucide et la patience de la lime qui le font irréprochable, Rollinat pourrait bien lui être supérieur ainsi qu'à Edgar Poe par la sincérité et la profondeur de son diabolisme ». Et il s'écrie plus tard dans un autre article : « Eh bien ! c'est cette souveraine équation entre la puissance du talent et la sincérité, qu'atteste dans sa terrible beauté le livre des Névroses. »

J'arrête là ce florilège de réactions, négligeant ce soir un long texte remarquable de Léon Bloy, où il présente à la fois l'homme Rollinat subjuguant les participants aux soirées du Chat Noir et une analyse chrétienne, certes, mais pénétrante (ou chrétienne et pénétrante, si vous préférez) de son œuvre. J'espère que, grâce à tous les interprètes de ce soir, vous remonterez à la surface avec une idée de la palette de Rollinat, qui va du délicat au provocant, qui s'exprime souvent en courts poèmes à formes fixes mais qui laisse aussi éclater son inspiration dans des morceaux d'un souffle étonnant... Oui, je pense que nous pouvons encore lire et relire Rollinat, il y en a chez lui pour tous les goûts et tous les âges, d'ailleurs le ministère de l'Instruction Publique de l'époque ne s'y était pas trompé, qui recommanda l'étude à l'école de nombreux poèmes sur la nature et les animaux.

On peut même avec Rollinat souhaiter à tous et à toutes de bonnes vacances reposantes. C'est ce que Laurence et moi, nous allons faire tout de suite avec Le Vent d'été...

© Cliché M.-F. Turpaud

LE VENT D'ÉTÉ

Le vent d'été baise et caresse
La nature tout doucement :
On dirait un souffle d'amant
Qui craint d'éveiller sa maîtresse.

Bohémien de la paresse,
Lazzarone du frôlement,
Le vent d'été baise et caresse
La nature tout doucement.

Oh ! quelle extase enchanteresse
De savourer l'isolement,
Au fond d'un pré vert et dormant
Qu'avec une si molle ivresse
Le vent d'été baise et caresse.

Maurice Rollinat, Les Névroses, 1883.

© P. Blavin

 

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