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Hommage à Louise Labé
Par Serge Dinerstein
Soirée du 12 décembre 2011

Si Louise Labé vivait à notre époque, elle ne laisserait pas indifférent, tant ses poèmes sont dégagés de toute contrainte quant à l’expression de ses sentiments. Dans un sens, elle me fait penser à Edith Piaf. Alors pensez comment elle a pu être reçue par ses contemporains. Elle a été l’objet des plus hautes louanges aussi bien que des plus basses insultes. Elle aura été, en tout cas, l’un des fleurons de la Renaissance française.

Son père, Pierre Charly, est un artisan cordier, modeste mais travailleur. À force de labeur, mais peut-être aussi grâce à trois mariages, il s’élèvera dans l’échelle sociale jusqu’à devenir maître des métiers, l’une des personnalités de Lyon. De son premier mariage ne naîtra aucun enfant. Du deuxième, quatre enfants, dont Louise. Celle-ci adoptera plus tard le nom de plume Labé, du nom du cordier dont Pierre Charly avait pris la suite et conservé l’enseigne. Son éducation sera assurée par les Sœurs de la Déserte, un couvent dans lequel elle séjournera, mais aussi par Antoine Fumée qui sera son maître.

Son éducation est remarquable pour une femme de l’époque, qui plus est, une femme du peuple : elle parlait italien, espagnol, elle avait appris le latin. Elle jouait du luth, elle montait à cheval et maniait l’épée. On dit qu’elle participa en 1542 au siège de Perpignan mené par le dauphin, le futur Henri II. Elle était habillée en homme, et se faisait appeler capitaine Loys. Elle fréquente le salon de Guillaume Scève, frère de Maurice Scève où elle joue du luth. Elle y rencontrera Clément Marot qui en tombera amoureux, probablement sans contrepartie, Pontus du Tyard qui fera partie de la Pléiade, et bien d’autres.

Vers 1543, elle épouse Ennemond Perrin, un artisan cordier plus âgé qu’elle. Mais elle reste très indépendante et ouvre salon aux poètes, diplomates, banquiers et commerçants.

Louise Labé s’est imprégnée de la culture de la Grèce et de la Rome antiques. N’oublions pas que Lyon est à l’avant-garde de la Renaissance en France, et qu’elle est en contact étroit avec l’Italie. La Sorbonne, elle, ignorait délibérément le grec. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles François Ier créa le collège de France. L’invention de l’imprimerie, au siècle précédent en Allemagne, a prodigieusement accéléré la diffusion de la culture. A tel point que les sultans de Constantinople l’avait interdite chez eux, peut-être sous la pression des imams.

Son œuvre se compose de 25 sonnets, de trois élégies, du Débat de folie et d’amour, et de l’épître à Clémence de Bourges. Elle sera éditée en 1554 par privilège spécial du roi qui représente l’une des premières protections du droit d’auteur*.

Le Débat de Folie et d’Amour, dont vous entendrez un extrait après la lecture des poèmes, est un chef d’œuvre d’intelligence et d’humour. Louise a probablement été inspirée par Erasme dont l’œuvre avait été traduite en français quelques années auparavant, mais son œuvre à elle porte son cachet personnel et n’a rien d’un plagiat.

Les sonnets et élégies parlent évidemment d’amour, on pense qu’Olivier de Magny fut son amant, mais peut-être aussi Henri II. Ces poèmes contiennent aussi des encouragements aux femmes à se cultiver plutôt que se préoccuper de bijoux et de robes. Toutefois ceci n’a rien à voir avec un dogme féministe, elle évoque notamment le fait que cela encouragera, par émulation, les hommes à être meilleurs.

L’épître à Clémence de Bourges a été écrite en dédicace, et développe ces considérations que l’amour, en gros, ne laisse que des regrets, alors que le fait de se cultiver laisse des satisfactions que le temps ne peut éroder.

Je terminerai cette courte présentation par deux jugements aux antipodes l’un de l’autre :

  • Celui de Claude de Rubys, un contemporain, procureur général de la commune de Lyon, membre de la Ligue :
    Cette impudique Louise Labé, que chacun sait avoir fait profession de courtisane publique jusqu’à sa mort.
  • Celui de Léopold Sédar Senghor, que j’ai apprécié parmi d’autres :
    On s’étonne qu’elle ait pu passer, aux yeux de certains, pour une indigne courtisane. On ne saurait trouver dans notre littérature de poèmes d’amour plus pudiques. Il est vrai que Louise Labé n’a pas le sens du pêché : elle a l’innocence du cœur et de la chair. Elle reste la plus grande poétesse qui soit née en France.

Les poèmes choisis pour cette soirée sont de Louise Labé, mais aussi d’autres poètes contemporains qui lui ont rendu hommage.

J’ajouterai seulement que certains, en mal de publicité, ont mis en doute l’existence réelle de Louise Labé. Les commentaires de ses contemporains, dont celui de Claude de Rubys, mais beaucoup d’autres élogieux, devraient suffire à mépriser cette invention.

Les brèves introductions qui accompagnent certains poèmes sont également de Serge Dinerstein.

Ont lu ou dit les poèmes sélectionnés, par ordre de première entrée en scène : Geneviève Castang, Bernadette Plageman, Loïc Bénard, Gérard Trougnou, Christian Richard, Gérard Honoré, Yves Tarantik, Fran çoise André.

Maryse Gévaudan a lu avec Serge des extraits du Débat de Folie et d’Amour.

*Textes originaux de Louise Labé sur Internet, site wikisource.

 

 

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