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Bêtes et gens du Berry
Soirée du du 26 janvier 2015 à la Cave à Poèmes

Par Pierre Blavin

Treize ans, déjà treize ans et demi que la Cave à Poèmes a rendu hommage à Maurice Rollinat et à l’ensemble de l’œuvre de ce poète post-baudelairien, étiqueté comme un « décadent » à l’instar de Richepin, Huysmans, Laforgue, pour ne citer que ces trois-là : vous avez pu lire ou lirez les traces écrites de cette soirée du 25 juin 2001 sur notre site Internet. Aujourd’hui, je ne m’attarderai pas sur des détails concernant sa vie et ses différents recueils car c’est à un aspect particulier de son œuvre que nous allons nous intéresser : ce qui est sorti de son observation inlassable des animaux et des gens de son Berry natal.

Juste quelques précisions. Il a vécu de 1846 à 1903. Après son enfance et sa jeunesse le plus souvent à Châteauroux, il a passé une douzaine d’années à Paris entre 1871 et 1883 ; il a été un des piliers du « Chat Noir », fondé en 1881, un pilier chantant à voix et postures extravagantes ; après son premier recueil Dans les brandes passé inaperçu, le 2e, publié en 1883, Les Névroses, n’a pas eu tout le succès qu’on lui promettait. Il est alors revenu en Berry. Il a repris ses longues promenades dans les bois et dans les brandes, sortes de landes riches en bruyères, genêts, ajoncs, fougères, mais il n’a pas perdu tout contact avec le monde artistique parisien, recevant souvent dans sa maison de Fresselines quelques personnages fameux comme Rodin et surtout son ami Claude Monet, qui a peint plus de vingt tableaux sur les bords de la Creuse, aux alentours de Crozant.

Le thème des bêtes et gens du Berry s’illustre dans un très grand nombre de poèmes, j’en ai dénombré plus de 180 ! Embarras du choix assuré pour la sélection de ce soir ! Indulgence demandée à ceux qui connaissent bien son œuvre... Je n’ai pas sélectionné certains de ses poèmes les plus connus, que vous avez peut-être appris à l’école, comme « La ballade du vieux baudet », « L’enterrement d’une fourmi » (« Les fourmis sont en grand émoi... »), « La biche » (« La biche brame au clair de lune... »).

Plantons le décor avec quelques extraits de poèmes qui décrivent les paysages dans lesquels évoluent les personnages.

Mon âme devient bucolique
Dans les chardons et les genêts,
Et la brande mélancolique
E
st un asile où je renais. (« Fuyons Paris »)

Cher pays, comme tu m’allèches
Par tes rocs et ta terre glaise ! (Le Touriste)

Mais cette vision attrayante est souvent remplacée par les ombres et mystères de la nuit, comme on le lit dans un poème intitulé « Nuit fantastique », dont voici des extraits :

Tandis que dans l'air lourd les follets obliques
Vaguent perfidement au-dessus des trous,
Les grands oiseaux de nuit au plumage roux
Poussent lugubrement des cris faméliques,
Diaboliques
Sur les houx.

Des carcasses, cohue âpre et ténébreuse,
Dansent au cimetière entre les cyprès ;
Tout un bruissement lointain de forêts
Se mêle au choc des os - plainte douloureuse.
Le vent creuse
Les marais.
[...]

La nuit a tout noyé, mer ensorcelante,
Berçant le rêve au bord de ses entonnoirs
La lune, sur l'œil fou des grands désespoirs,
Ne laisse pas filtrer sa lueur parlante.
Ô nuit lente
Ô cieux noirs !

Vous avez noté les mots : perfidement, lugubrement, diaboliques, ténébreuse, cimetière, choc des os, plainte douloureuse, ensorcelante, œil fou, grands désespoirs, nuit lente, cieux noirs - tout cela dans 18 vers, et même pas tous des alexandrins !

C’est donc dans ce décor tantôt plaisant tantôt lugubre que vivent bêtes et gens, tantôt décrits avec tendresse et humour, tantôt métamorphosés en créatures fantastiques.

Les animaux domestiques ont manifestement beaucoup compté dans la vie de Rollinat, notamment son chien Pistolet, ils sont présentés comme dévoués et touchants. Cependant, le chat, « ce parfait hypocrite », peut être aussi cruel qu’un tigre : je vous ai épargné un long poème, « La jalousie féline », qui se termine dans le sang. Malgré le mystère de cet être ambigu, le poète imagine que les animaux sont meilleurs que les humains !

Les gens font aussi l’objet de poèmes très vivants, amusants ou émouvants. Sur le fond, cependant, ils me semblent souvent correspondre à des stéréotypes : par exemple, les hommes ont bu ou sont en train de boire et se gaussent des « babillardes » ; quant aux femmes, elles existent surtout pour le désir des hommes, à commencer par celui du poète, manifestement très attiré par les jouvencelles.

Rollinat utilise une grande variété de vers et de formes fixes. Il excelle dans le rondel. Il pratique avec aisance la ballade et la villanelle. Nombreux sont aussi les sonnets dans son œuvre. Et puis des poèmes de diverses formes, parfois assez longs, souvent avec des vers de mètres différents.

Avant de laisser la place à vos lectures, je salue la présence de « collègues » à moi, membres éminents de l’Association des Amis de Maurice Rollinat : Thierry Sajat, un fidèle des fidèles de notre Cave, Jean Hautepierre, que vous connaissez aussi, et Michel Caçao, qui a mis en musique et interprète des poèmes de Rollinat. Il nous en chantera trois. Et notre Laurence Fosse, qui, vous le savez, a eu comme moi, à l’aube du siècle, le coup de foudre pour « Maurice » (comme nous disons entre nous), fera de même.

Lire les poèmes choisis pour cette soirée

Où trouver les œuvres de Rollinat ? voir notre page Biblio-webo-discographie.