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Une notoriété à éclipses

Mais la vie passe, certains amis sont partis, Apollinaire, Modigliani tragiquement suivi par sa femme, Pascin... cependant Salmon toujours présent est pris par de nombreuses activités, et de plus en plus par son travail de journaliste, il fait toutefois toujours paraître romans et autres, parfois entachés de cet excès de vitesse qui caractérise sa vie d'alors. Et on peut dire que si quelqu'un a connu la notoriété, c'est bien lui, il est invité et sollicité partout. On ne peut pas dire, de ce point de vue, qu'il s'agit d'un poète ayant manqué d'honneurs. Mais la suite de sa biographie explique peut-être le relatif désintérêt, voire la méconnaissance, dont il jouirait actuellement. Je dis « jouirait » car il semble susciter maintenant un regain d'intérêt.

On lui a en effet reproché, et plus que cela, car il a subi une peine de 5 ans d'indignité nationale, une attitude de collaboration pendant la dernière guerre, et l'on sait ce que deviennent les écrivains ainsi entachés, leur passage à la trappe, etc. Mais il faut tout de suite souligner qu'André Salmon a vu très rapidement sa peine graciée et ce soupçon levé. En cette époque troublée, et alors qu'il avait également tout d'abord été accusé d'avoir favorisé « l'émergence du pouvoir aux métèques » (Picasso) ou à sa bande de « juifs à l'art dégénéré » (Chagall, Kisling, Zadkine...), il se voit ensuite suspecté de fascisme car il avait été envoyé par son journal, Le Petit Parisien, couvrir la guerre d'Espagne du côté franquiste, tandis qu'un collègue faisait de même du côté républicain. Il ne semble pas qu'André Salmon se range d'un côté ou de l'autre, gardant plutôt une politique de neutralité, la guerre civile lui faisant horreur, son attitude étant, comme lorsqu'il avait écrit « Prikaz », celle d'un témoin qui assiste impuissant aux bouleversements dans le feu et le sang, et qui espère toujours qu'un monde nouveau porteur d'espoir se lèvera sur les décombres, avec toutefois une espèce d'absolution donnée à l'homme, considéré comme innocent car il ne sait pas ce qu'il fait. Et ce serait plutôt cette attitude qu'on lui reprocherait, car à cette époque, il valait mieux être engagé, et engagé du « bon côté ».

Quoi qu'il en soit, après la guerre d'Espagne se profile la guerre de 39 et les temps difficiles commencent donc pour Salmon, pris entre la droite qui lui reproche ses accointances avec le « complot juif », et la gauche son « attitude franquiste », il voit des portes se fermer, des amis (dont Picasso) se détourner, mais il émarge toujours au Petit Parisien qui l'envoie en Afrique du Nord comme correspondant de guerre, d'où il reviendra en 40 et passera en zone occupée, notamment pour rejoindre sa femme presque mourante, et où il continuera ses activités au journal, ce qui lui vaudra alors cette accusation de « participation à un journal de la zone occupée » avec la condamnation qui s'ensuivra. Pendant cette période où il ne peut trouver de travail officiel car interdit de signer quoi que ce soit de son nom, il lui faut reprendre des « boulots alimentaires », mais il est soutenu par des amis fidèles tels que Pierre Mac Orlan et Léon-Paul Fargue, et le résistant Edmond-Marie Poullain (qui était un magistrat, peintre et aquafortiste). Il écrit cependant toujours des vers, Odeurs de Poésie,

Prestiges, lu par Christian Richard,

qu'il a réussi à faire publier en 44 à Marseille, c'est-à-dire en zone libre. En 1949, sa femme Jeanne meurt, et la vie artistique et littéraire s'est peu à peu déplacée vers Saint-Germain des Près, rien n'est plus pareil.

Toutefois, au début des années 50, Salmon s'est réconcilié avec ses vieux amis, Picasso notamment ; il recommence à paraître dans tous les lieux où il se passe quelque chose, et en 1953, il se remarie avec la veuve de Roger Vitrac, poète surréaliste et poète de l'absurde. Belle et spirituelle compagne, elle lui redonne le goût de vivre et ils seront ensemble jusqu'à la mort du poète, en 1969.

En 1961, Salmon quitte Paris pour s'installer dans le Var à Sanary, non loin de son ami Kisling, où tous deux, entretemps octogénaires, continuent à recevoir de nombreux amis artistes.

On peut souligner qu'en 1963, Salmon est élu conseiller municipal de cette commune sur une liste de gauche, et qu'en 1964 il reçoit le grand Prix de poésie de l'Académie française.

Il fait encore paraître des poèmes, notamment Les Etoiles dans l'Encrier,

Rondel de l’hôte, lu par Jean-François Marsat,

ainsi que des romans et souvenirs, et en 1967, il est fait Commandeur des Arts et des Lettres. Mais à cette époque, d'autres avant-gardes artistiques et littéraires sont en mouvement, et André Salmon apparaît désormais plutôt académique voire conventionnel. Il meurt le 12 mars 1969 dans sa maison de Sanary, à l'âge respectable de 88 ans.

 

 

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