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Journaliste et poète

Pour en revenir à la biographie de ce poète, André Salmon s'était donc établi à partir de 1908-1909 comme journaliste attitré, ce qui marquait un peu la fin de sa vie de bohème et de grand arpenteur de tous les pavés parisiens (nombre de poèmes portent d'ailleurs le nom d'une rue ou d'un coin de Paris),

L’Aube rue Saint Vincent, lu par Geneviève Castang,

Un soir à Montparnasse, lu par Jean-François Blavin,

dans différents journaux dont l'Intransigeant, puis Paris-Journal et plus tard, et pendant plus de 20 ans, au Petit Parisien. A cette même époque 1909, il épouse Jeanne Blazy-Escarpette, rencontrée dans ses pérégrinations dans le Paris de la nuit... Pour l'occasion de ce mariage, qui a lieu le 13 juillet 1909, Apollinaire écrira un poème (repris plus tard dans Alcools) pour « son ami André Salmon qui se marie », jouant avec le fait que Paris est pavoisé puisque... nous sommes à la veille de la Fête Nationale du 14 juillet, et dont voici, pour en indiquer le ton, la première strophe :

En voyant des drapeaux ce matin je ne me suis pas dit
Voilà les riches vêtements des pauvres
Ni la pudeur démocratique veut me voiler sa douleur
Ni la liberté en honneur fait qu'on imite maintenant
Les feuilles ô liberté végétale ô seule liberté terrestre
Ni les maisons flambent parce qu'on partira pour ne plus revenir
Ni ces mains agitées travailleront demain pour nous tous
Ni même on a pendu ceux qui ne savaient pas profiter de la vie
Ni même on renouvelle le monde en reprenant la Bastille
Je sais que seul le renouvellent ceux qui sont fondés en poésie
On a pavoisé Paris parce que mon ami André Salmon s'y marie

Prenant ainsi congé de sa vie de bohème, comme je le disais, Salmon s'installe désormais à Montparnasse, autre atmosphère, bien que toujours en relation avec la peinture et les ateliers ; c'est ici qu'il se liera avec Kisling, Pascin, Modigliani... et c'est dans ce contexte qu'il avait fait paraître en 1912 son Histoire de la Jeune Peinture Française, œuvre majeure en ce domaine..

Survient la guerre de 14, pour laquelle Salmon (qui avait été réformé du service militaire en raison d'une faible constitution) s'engage volontairement, connaît le front, la vie des tranchées, et la blessure qui marquera la fin de sa guerre en 1916, où il est de retour à Paris et, à partir de cette date, reprend donc sa vie marquée cette fois-ci en plein dans le journalisme, travaillant pour différents journaux, à la fois chroniqueur judiciaire, reporter envoyé, etc. ce qu'il continuera comme sa profession. Il est toujours très actif littérairement (Carreaux, poèmes écrits entre 1918 et 1921),

Femmes sont fées, lu par Loïc Bénard,

Vigile, lu par Martine Rivière,

et auprès de ses amis peintres, participant à de nombreuses soirées de revues, créant, avec Norge, Goll et Carême des revues comme le Journal des Poètes en 1931, ou Les Nouvelles de la République des Lettres, il fait monter quelques pièces de théâtre, bref un personnage très présent et actif sur bien des plans artistiques.

André Salmon écrit parallèlement à la poésie bon nombre de romans et nouvelles, ainsi que des essais, critiques, et mémoires, des monographies de peintres, et quelques pièces de théâtre, c'est-à-dire une œuvre très abondante, que l'on peut dire dans l'ensemble bien ancrée dans les mouvements artistiques de l'époque, et qui se pose également en témoin de cette époque, comme l’avait montré son roman la Négresse du Sacré-Coeur, (paru en 1907), qui évoque la vie à Montmartre.

Mentionnons aussi pendant cette période un très long poème bien particulier écrit fiévreusement en quelque semaines lors de la révolution russe, Salmon qui devait forcément se sentir concerné par ce bouleversement, compose en effet ce poème intitulé « Prikaz » (qui signifie Ordre ou Décret en russe),

Prikaz, lu par Yves Alain,

écrit donc très rapidement d’un jaillissement lyrique en vers hallucinés et comme automatiques, ainsi que le dit Pierre Seghers, et avec « la conscience morale d’un poète qui regarde cela avec des yeux d’homme vrai, d’un poète qui a pu méditer sur des horizons de feu ». J’ai extrait quelques vers de ce poème pour en montrer le ton et le rythme, bien qu’il soit difficile d’isoler quelque partie que ce soit du grand ensemble pratiquement continu que forme « Prikaz ».

En même temps, période pendant laquelle André Salmon continue à fréquenter les cafés, les soirées des revues littéraires, les peintres, et à écrire

L’Âge de l’Humanité, lu par Jacques Halbronn 

en combinant tout cela avec un travail de chroniqueur judiciaire (au Matin en 1921, puis au Petit Parisien à partir de 1928).

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