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Années Barclay : 1960-1968 et 1968-1974

1960-1968

En 1960, Léo Ferré rejoint le label Barclay. Il se consacre uniquement à la chanson, ce n'est pas lui qui fait les orchestrations, on lui impose « gentiment » Jean-Michel Defaye.

Ferré enregistre Les Chansons d'Aragon, en janvier 1961. Ce disque fait date et va s'imposer assez rapidement comme une référence incontournable.

Pour son nouvel album 25 cm sur ses propres textes, Léo Ferré se montre très engagé : plusieurs chansons sont interdites d'antenne ; à cette censure officielle s'ajoute la censure interne de sa maison de disques. Plusieurs chansons sont récupérées en Super 45 tours Barclay de 1961, et en 2003, paraît un album CD posthume nommé Les Chansons interdites... et autres.

À cette époque, Ferré se dresse contre son époque et ses travers : essor de la société de consommation, bellicisme et torture en Algérie, tutelle de Charles de Gaulle, etc. Il se voit régulièrement interdit d'antenne, mais il s'impose par ses succès « Paname », « Jolie môme », « L'Affiche rouge ».

Ferré se produit à guichets fermés dans les grandes salles parisiennes. Il tourne peu en province, mais se rend pour la première fois au Canada en 1963. Il y retournera régulièrement jusqu'à la fin de sa vie. Il fuit la télévision et se tient volontairement éloigné du « métier ».

De 1963 à 1968, Léo Ferré vit dans le Lot, où il a acheté le château de Pechrigal (« tertre royal » en quercynois), qu'il rebaptise Perdrigal (« perdrix » en occitan). En sus de sa production de chansons, il y écrit, sans chercher à faire publier quoi que ce soit, des textes de réflexions et de longs poèmes. Il s'adonne à l'imprimerie, avec du matériel professionnel. Il apprend à typographier, à brocher et édite dans le commerce le journal de son épouse, Les Mémoires d'un magnétophone, un livre de deux cents pages qui décrit leur quotidien difficile. Le couple, qui bat de l'aile, vit entouré de très nombreux animaux, à commencer par la chimpanzée Pépée, achetée en 1961 à un dresseur et qui fait la loi dans cette demeure.

Au début de l'année 1966, Madeleine et Léo se produisent conjointement lors d'une soirée pour un enregistrement public d'une émission du poète Luc Bérimont. Au cours de cette soirée, Madeleine dit, en particulier, « Le Poète contumace » de Tristan Corbière et « Le Crachat » de Léo Ferré.

En 1967, Barclay censure la chanson « À une chanteuse morte » dédiée à Édith Piaf (voir album Cette chanson). Ferré lui intente un procès, qu'il perd. La même année, à l'occasion du centenaire de la mort de Baudelaire, Ferré consacre un double-album au poète.

En mars 1968, les disputes entre Madeleine et Léo ont créé un climat de rupture tel que Léo Ferré parti assurer un gala et, déjà lié à Marie-Christine Diaz, ne revient pas rejoindre Madeleine. Peu de temps auparavant, Pépée s'était blessée gravement en tombant d'un arbre alors qu'elle était avec Léo, et ne se laissait alors plus approcher par personne. Au désespoir, Madeleine fait tuer le chimpanzé et plusieurs autres animaux par un voisin chasseur. Ferré en sera terriblement affecté et se sépare de Madeleine, avec qui il n'a jamais eu d'enfants, cette dernière lui ayant caché qu'elle s'était fait ligaturer les trompes. La chanson « Pépée » est le requiem de ce drame intime.

Désormais s'amorce le grand virage des concerts et de l'écriture de Ferré.

Tout d'abord il salue les effervescences de la jeunesse à travers le monde et place en elle ses derniers espoirs de changement (« Salut, Beatnik ! », 1967).

Le 10 mai 68, première nuit des barricades au Quartier Latin de Paris, Léo Ferré chante à la Mutualité pour les anarchistes et interprète pour la première fois la chanson « Les Anarchistes ». Puis il repart dans le Sud rejoindre sa nouvelle compagne, Marie-Christine, sans prendre part aux événements de Mai.

1968-1974

À partir de l'été 68, Léo Ferré se plonge dans la mise en musique de poèmes extraits de son recueil Poète... vos papiers !. Ces nouvelles chansons, enregistrées sur les albums L'Été 68 et Amour Anarchie, seront perçues par la critique comme un renouvellement de son inspiration alors que ces textes ont été pour la plupart écrits au début des années 1950 !

Le succès de « C'est extra » en 1969 élargit son audience. Une partie de la jeunesse reconnaît dans le poète sa propre révolte.

Ferré fait éclater dans ses chansons les structures traditionnelles au profit de longs textes déclamés sur fond de musique. Cette recherche ne sera pas toujours bien comprise et Ferré va dorénavant partager le public et la critique comme jamais.

Il s'aventure vers le rock anglo-saxon, qu'il envisage comme un moyen de dépoussiérer le paysage musical français. Ainsi en 1969, il enregistre à New York une version inédite du titre « Le Chien » avec des musiciens de jazz-rock très connus (John McLaughlin et Billy Cobham, respectivement guitariste et batteur du Mahavishnu Orchestra, et Miroslav Vitouš, bassiste de Weather Report). Pour d'obscures raisons, Ferré n'utilise pas cette version et réenregistre le titre avec un jeune groupe français que sa maison de disques veut mettre en avant : Zoo. La collaboration durera le temps de deux albums (Amour Anarchie, La Solitude) et d'une tournée en 1971. En 1970, Barclay avait écarté « Avec le temps » du double LP Amour Anarchie... Sortie « à la sauvette » en 45 tours, cette chanson tragique inspirée de ses propres désillusions deviendra un classique instantané, le plus grand succès de Ferré à ce jour.

La même année est publié son roman autobiographique Benoît Misère.

Jean-Pierre Mocky lui demande de composer la musique de son film L'Albatros. Ferré écrit et orchestre quarante minutes de musique symphonique, dont le réalisateur ne retiendra que deux thèmes. Ferré reprend une partie de ce matériau pour créer, l'année suivante, deux chansons « Ton style » et « Tu ne dis jamais rien », et décide de se passer désormais de tout arrangeur.

Ferré réenregistre alors « La Chanson du Mal-Aimé » avec de meilleures conditions techniques. Cette fois il dirige, chante et dit le texte seul, en lieu et place des chanteurs lyriques d'autrefois, ce qui l'amène à modifier légèrement son orchestration.

En 1971 une contestation virulente d'une minorité du public se disant gauchiste, vient régulièrement perturber les concerts. Ces « désordres » reprendront de plus belle en 1973 et en 1974, au point de lui faire un temps envisager d'arrêter la scène.

1972 signe son retour à l'Olympia, où il ne s'est pas produit depuis 1955. Il fait une tournée au Liban, en Algérie, effectue de nombreux galas au profit d'ouvriers grévistes, ou encore de journaux en difficulté. Il tourne partout en France, en Suisse, en Belgique, et participe avec Brassens à un concert en faveur de l'abolition de la peine de mort, contre laquelle il a déjà écrit en 1964 la chanson « Ni Dieu ni maître », considérée comme un de ses classiques, et contre laquelle il écrira encore « La Mort des loups » (1975).

En 1972, il se déplace également en Bretagne pour rencontrer Glenmor et ils tournent tous les deux en Bretagne à l'occasion de cette rencontre.

En 1973 sont sortis deux disques très noirs : Il n'y a plus rien, qui met en mots et en musique la désillusion de Mai 68, et Et... Basta !, où Ferré fait le bilan de ses souvenirs intimes et règle ses comptes dans un long monologue en prose.

Le départ de Paul Castanier, son fidèle pianiste depuis 57, et la rupture en 1974 avec la maison Barclay, va contraindre juridiquement Léo Ferré au silence pendant plusieurs mois, il se consacre alors principalement à la composition et la direction d'orchestre. Au cours de cette période, la chanteuse Pia Colombo lui « prête » sa voix dans l'album Pia Colombo chante Ferré 75. Conjointement à ce disque, sort l'unique album instrumental de Ferré, Ferré muet... dirige, où sont donnés dans une version symphonique quatre des cinq titres précédemment enregistrés par la chanteuse.

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Serge Carbonnel, Léo Ferré : de multiples talents ! 5/7

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