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Amitiés fortes

Violette Shillito

La première grande amitié qu'éprouva Pauline, elle la qualifia elle-même de « communion sororale ». Dans son roman autobiographique Une femme m'apparut, elle écrivit plus tard :

Vers l'âge de treize ans, je me pris d'une passion très pure pour une compagne dont j'aimais les beaux sourcils mélancoliques... L'ignorance éloignait l'une de l'autre nos deux bouches trop ingénues.

Il s'agit d'une Américaine, Violette Shillito, qui, avec sa sœur Mary, habitait à Paris chez ses parents dans une maison voisine de celle des Tarn et qui retrouva Pauline au pensionnat, à Fontainebleau. Violette et Mary n'éprouvaient que répulsion pour les hommes, qu'elles trouvaient laids et s'amusaient parfois dans les rues à classer en cochon, petit cochon et gros cochon ! Il n'est pas étonnant dès lors de lire les vers suivants dans un poème qu'écrira Renée Vivien : 

Je suis femme, je n'ai point droit à la beauté.
On m'avait condamnée aux laideurs masculines.


Les sœurs Shillito méprisaient tous ces messieurs de leur entourage, ces acteurs de la mascarade hypocrite des bourgeois bien comme il faut qui entretiennent des maîtresses à grands frais !

Violette Shillito ne cultivait pas seulement la haine des hommes, elle était extrêmement précoce, ayant appris seule le grec ancien pour pouvoir lire Platon, entre autres. À seize ans, cette Américaine qui parlait le français apprit aussi toute seule l'italien, comment faire autrement pour lire Dante dans le texte ? Enfant prodige également pour la musique... une mort prématurée, à 24 ans, en 1901, réduisirent à néant toutes ces qualités.

Qualités qui, à un moindre degré, furent également celles de Pauline. Elle aussi apprendra très vite l'italien , à l'occasion de son premier voyage dans ce pays avec la tante Marie évoquée tout à l'heure, et sa vocation littéraire, sa connaissance de la musique furent précoces. Sur le plan des idées, Violette, si elle avait vécu un peu plus longtemps, se serait reconnue en entendant Vivien proclamer que les trois fléaux de l'humanité sont l'homme, le mariage et la maternité !

En fait, quelques hommes ont joué un rôle important dans la vie de Pauline-Renée. 

Amédée Moullé

À 17 ans, Pauline rencontre le cousin d'une des ses amies, un quinquagénaire élégant et cultivé, français et poète de surcroît. Il n'en fallait pas plus pour que la jeune fille tombe sous le charme : 

J'étais comme un passant qui dans la nuit écoute
Un chant du rossignol, harmonieux et touchant...
Enfin, quand votre cœur au mien s'est révélé ;
Quand j'ai vu sa grandeur, son intime noblesse ;
Ami, le moindre doute s'en est allé,
Je pouvais me fier sans crainte à sa tendresse...

Très vite elle lui écrivit secrètement une lettre, qu'on n'a jamais retrouvée, à laquelle cet homme marié ne répondit que deux mois plus tard. S'ensuivit une correspondance nourrie (22 lettres de Pauline ont été conservées par Amédée), dont le sujet principal était la littérature et la tonalité, celle d'une amitié amoureuse, qu'elle exprimait en vers souvent romantiques et parfois passionnés. 

Tout mon être, je te le donne !
Tu me l'as dit, voici longtemps :
Puisque j'ai l'âge du printemps,
C'est toi le triste et tendre automne !

À force d'écrire ainsi, d'être lue, de recevoir des réponses, elle tomba vraiment amoureuse. Moullé, quant à lui, se contentait de corriger ses vers, d'en réécrire parfois. À Pauline qui évoque

Le jour du mariage et de l'union de nos cœurs

il propose plutôt :

Le jour tant attendu de l'union de nos cœurs.


Toute cette correspondance resta longtemps secrète. C'est lorsque Mme Tarn la découvrit que les relations entre la mère et la fille (alors en Angleterre) prirent un tour violent : enfermement, fugue. Pauline proposa à Moullé de le rejoindre en France. Le bel Amédée refusa... et reçut plusieurs mois plus tard, le 18 juillet 1896, une lettre de rupture :

Quittons-nous en amis. [... ] Puisque je n'ai jamais été votre maîtresse, nous pouvons nous quitter en amis qui n'ont rien à se reprocher. [...]Et puis prenez tout mon cœur, car votre récompense, c'est que je vous aime et que je vous aimerai toujours. À cent ans d'ici, je vous aimerai toujours. Mon cher bien aimé, adieu de tout mon cœur. [...]

Jean Charles-Brun

Vous tous qui sûrement un jour ou l'autre vous êtes promenés dans le très beau parc de Sceaux, êtes-vous allés dans la ville jusqu'à l'église Saint-Jean-Baptiste ? Tout à côté se déploie modestement le Jardin des Félibres où sont alignés plusieurs bustes de poètes provençaux. Parmi ceux-ci : Jean Charles-Brun, poète de tendance classique et grand connaisseur de la poésie des troubadours.

En 1900, à partir de leçons de prosodie française qu'elle a sollicitées de ce littérateur alors prestigieux, commence entre eux une énorme correspondance (on a retrouvé plus de 500 lettres de Vivien), qui ne s'achèvera qu'avec la mort de notre poétesse. À partir de 1903, Vivien, dans son rêve permanent d'androgynie, va jusqu'à l'appeler « Suzanne ». Charles-Brun lui-même avouera : 

J'ai si violemment façonné son cerveau
Je l'ai si fortement marqué à mon empreinte
Que j'envisage enfin, sans haine et sans crainte
L'image, que je hais pourtant, d'une autre étreinte
Qui voudrait à son corps mettre un frisson nouveau.

Brouillon manuscrit du Sang des vignes, recueil de Charles-Brun.

De fait, Charles-Brun resta durant toutes ces années un ami fidèle et un conseiller attentif et écouté, vraiment « le » conseiller littéraire de Renée Vivien.

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