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L’œuvre poétique

Les poèmes choisis ont été écrits entre 1912 et 1959, et sont répartis entre les différentes périodes d'écriture.

On constate une évolution, entre l'écriture dense, elliptique, fulgurante de ses débuts, et celle qu'il adopte après 1940. Mais, si le langage de Pasternak se dépouille et se simplifie, si les rythmes se font plus monotones, ses rimes plus banales, ses images plus claires, il reste constamment fidèle à l'exigence de spontanéité et de naturel, qui dès le départ est chez lui primordiale. La qualité sonore du vers et le relief visuel de l'image demeurent inchangés. Mais il va écrire des vers sur des sujets imposés, comme on pratique un métier, ou plus exactement, comme le dit son héros Iouri Jivago, « comme on dessine des études pour un grand tableau ».

Pasternak est l'un des poètes les plus « réguliers » du XXe siècle et la traduction de sa poésie est très difficile, car, en russe, ses vers ont des sonorités particulières et s'imposent d'abord à l'oreille, aux lèvres, au larynx en raison de l'accumulation des chuintantes et des groupes de consonnes.

C'est, par sa forme, qu'il s'agisse du tissu serré de ses sons ou du réseau obscur et fascinant de ses images, que se constitue d'abord un poème de Pasternak. Peut-être a-t-il été le plus près de réaliser le rêve futuriste d'une poésie purement « matérielle », comme la peinture, transmise directement des sens à l'esprit, sans passer par le canal de l'intelligence analytique.

Même à l'époque de ses débuts, Pasternak a toujours cherché à ressaisir par la poésie l'élan spontané de la parole vivante. L'unité de mouvement de ses poèmes haletants, leur syntaxe elliptique, articulée par les intonations expressives de la langue parlée, leur vocabulaire « laïque », professionnel, familier, concret : il s'agit toujours de retrouver le dynamisme fondateur qui fait du langage un acte vital et non une ombre pâle du vécu.

Dans l'univers de Pasternak, l'homme est un élément de paysage. Le paysage, lui, est rarement un « tableau » statique. C'est en général un instantané « météorologique », qui saisit la nature entière dans un de ces mouvements d'ensemble que sont les averses et les orages, les tempêtes de neige ou les rafales de vent, les levers et les couchers de soleil. Car c'est dans ces instants que la nature peut servir de langage aux sentiments.

Pasternak use de métaphores recherchées illogiques qui prêtent aux objets les impressions et les sentiments qu'ils inspirent au sujet.

Mais, si Pasternak lit presque toujours les sentiments qu'il exprime sur le visage de la nature, c'est qu'en effet ils ne lui appartiennent pas, pas plus qu'ils n'appartiennent aux arbres et aux nuages auxquels il les attribue : c'est la Vie, la Vie même qui est le seul véritable sujet lyrique de la poésie selon Pasternak. Cet effacement du moi individuel n'est cependant pas une dépersonnalisation. L'originalité, le courage d'être soi, ont toujours été pour Pasternak la condition même de la poésie.

Il utilise des comparaisons fondées sur des associations lointaines, subjectives ou fortuites et qui, loin d'éclairer l'inconnu par le connu, comme elles le font dans la langue pratique, brouillent le sens et font obstacle à la compréhension immédiate. Lorsque, par exemple Pasternak compare le bruit qui l'a réveillé à Venise à « une fourchette plantée jusqu'au manche dans la brume », il entraîne peut-être l'imagination de son lecteur, mais n'éclaire guère son intelligence.

Et pourtant, il dit ne pas rechercher cela. « Bien au contraire », écrira-t-il en 1956 dans son Essai d'autobiographie, « ma préoccupation constante était que le poème lui-même contînt quelque chose, une pensée nouvelle ou un nouveau tableau. [...] Par exemple, pour Venise, la ville aquatique se dressait devant moi, et les ronds et les huit de ses reflets sur l'eau voguaient et se multipliaient en se gonflant comme des biscottes dans le thé [...] Je n'avais rien à demander ni à moi-même, ni au lecteur, ni à la théorie de l'art. Je ne demandais qu'une chose : que le poème contînt la ville de Venise.». Il a également écrit : « Les courants modernes ont imaginé que l'art est pareil à un jet d'eau, alors qu'il est semblable à une éponge. Ils ont décidé qu'il devait jaillir, alors qu'il doit absorber et s'imbiber. »

Conclusion

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Documents consultés

Pasternak de Gerd Ruge, Les écrivains par l'image, Hachette.
Boris Pasternak Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard.
Ma sœur la vie et autres poèmes, Poésie/Gallimard.
Articles du journal Le Monde des 8-01-1987, 24-02-1987,
29-05-1987, 2-03-1990 et 20-07-1990.

© A. Pasternak

 

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