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In et hors programme

Par Pierre Blavin

Je vais essayer de placer dans le contexte de l’œuvre la sélection de ce soir. Elle a été faite essentiellement à partir des coups de cœur de certaines et certains d’entre vous et des choix de celles et ceux qui se sont proposés pour chanter.

Coup d’œil sur les œuvres

·Quelque 300 chansons ou textes scandés sur musique
·Un opéra : L’opéra du pauvre, ensemble de textes et de chansons scénarisés dans le cadre d’un procès intenté à la Nuit, accusée d’avoir supprimé la Dame Ombre et défendue par le hibou.
·120 mises en musique de poèmes : Apollinaire, Baudelaire, Aragon, Verlaine, Rimbaud et quelques autres parmi lesquels surtout Jean-Roger Caussimon, à qui on doit par exemple les paroles de « Monsieur William » et de « Comme à Ostende ». C’est délibérément que nous avons décidé pour ce soir de n’en présenter aucune, ce seul répertoire de poètes mériterait une soirée entière.
·Des dizaines de poèmes qui sont restés sans musique.
·Un roman, Benoit Misère (1970).
·Des préfaces, dont une, celle du recueil Poètes vos papiers, de 1956, sera dite ce soir dans une de ses versions scéniques.

Les trois périodes

1. Les années 50 (Chant du monde et Odéon)
En 1950, il a déjà 34 ans. Coffret de 7 CD, + le premier des disques consacrés à Baudelaire. Chansons de facture classique, poétiques ou satiriques, souvent humoristiques, vous en entendrez quelques-unes ce soir.

2. Les années 60 et 70 (Barclay)
Coffret de 11 CD, + le double Baudelaire, le double Verlaine-Rimbaud entrelacé + La chanson du mal aimé d’Apollinaire en version chanson, il y avait eu une version « oratorio ». Encore des chansons de facture classique mais souvent orchestrées par Jean-Michel Defaye, apparition de textes davantage scandés que chantés : « Y’en a marre », « T’es rock, coco ». Et plus tard, juste après 68, à la charnière des années 60 et 70, ce sera le long et fameux et discuté « Il n’y a plus rien » et aussi « Le chien ». 

On peut me mettre en cabane
On peut me rire au nez ça dépend de quel rire
JE PROVOQUE À L’AMOUR ET À L’INSURRECTION
Yes ! I AM UN IMMENSE PROVOCATEUR
Je vous l’ai dit
Des armes et des mots c’est pareil
Ça tue pareil
[...]
Je n’écris pas comme de Gaulle ou comme Perse !
JE CAUSE et je GUEULE comme un chien
JE SUIS UN CHIEN.

Et il lissait sa crinière blanche, des deux côtés.

Ces deux textes, qui ne sont pas au programme de ce soir, et les autres chansons contenues dans les deux 33 tours intitulés Amour-Anarchie ont donné à Ferré un nouveau public parmi ceux qu’il appelait les « beaux enfants du mois de mai », nous en entendrons quelques-unes tout à l’heure.

Pas au programme non plus les chansons d’actualité de cette période Barclay, des chansons de chansonnier, comme les trois versions des Temps difficiles. Mais nous entendrons plusieurs chansons à forte connotation politique.

3. De 73 à 93 (EPM, 11 CD).
Les œuvres de cette époque sont parfois des mises en musique et des remaniements de textes écrits longtemps auparavant.

« La Mélancolie » s’est muée en « Tristesse » ou en « Nostalgie ». Parmi les morceaux qui électrisent le public, il y a un « Requiem » qui s’achève sur un silence extraordinaire avant les applaudissements. Il y a aussi « La mort des loups », un réquisitoire contre la peine de mort à la suite de l’exécution de Bontemps et Buffet : 

À la Une de ce matin il y a deux loups sans queue ni tête
Ils sont partis dans un panier quelque part dans un pays doux
Où la musique du silence inquiète les hommes et les bêtes
Ce pays d’où l’on ne revient que dans la mémoire des loups

Les loups les loups

Lorsque j’étais enfant j’avais un loup jouet
Un petit loup peluche qui dormait dans mes bras
Et qui me réveillait le matin vers cinq heures
Chaque matin où l’on tuait des loups

Je les aime ces loups qui m’ont rendu mon loup.

Plusieurs longs textes, dont un particulièrement original, intitulé Ludwig : au lieu de déposer comme d’habitude sa musique au pied des poèmes, Ferré dépose un poème sur la musique de l’ouverture d’Egmont.
Les médias ont peu diffusé les œuvres de cette époque, même celles qui ressemblaient le plus à des chansons comme « La jalousie » :
Dis-moi la jalousie comment ça fait comment ça vient
Comment ça va

Une exception peut-être dans ce silence des médias : la chanson vibrante dédiée au président chilien Allende : 

Quand il y aura des mots plus forts que les canons
Ceux qui tonnent déjà dans nos mémoires brèves
Quand les tyrans tireurs tireront sur nos rêves
Parce que de nos rêves lèvera la moisson

Quand... Quand...
C’est alors, c’est alors que nous réveillerons
ALLENDE

Sans volonté délibérée, dans le choix de ce soir, on n’a pas fait mieux que les médias, il n’y a rien de cette dernière période.

Et, ce soir, sur la scène, il n’y aura évidemment pas la voix de Ferré, cette voix singulière au vibrato étonnant, qui en a transporté certains et agacé d’autres. Mais, vous le savez, il y aura cette singulière et admirable spécialité de La Cave à poèmes, la diversité des talents au service des poètes.

Sur la scène, ce soir, il n’y aura pas Pépée, la guenon aux oreilles de Gainsbourg, flinguée sans doute sur ordre de Madeleine, qui fut la seconde femme et l' efficace assistante artistique de Léo pendant 18 ans. Et les chansons d’amour seront peu représentées. Il y en a pourtant beaucoup et sur des tons variés mais nous en entendrons au moins une, qui est parmi les plus enflammées : « Chanson pour elle ». Et les femmes d’une manière ou d’une autre seront à l’honneur vers la fin de notre programme.

Il n’y aura pas non plus ce soir ce que j’appellerais les « chansons-métaphores » comme « La mélancolie », la plus connue d’entre elles : 

C’est sous la teinture
Avoir les ch’veux blancs
C’est sous la parure
Fair’ la part des ans
Et sous la blessure
Voir passer le temps
La mélancolie

Alors comme c’est un type de chanson que Ferré a beaucoup pratiqué, souvent avec bonheur, je vous livre quelques-unes de ces définitions métaphoriques :

La mélancolie
C’est un chat perdu
Qu’on croit retrouvé

La tristesse
C’est un chat étendu comme un drap sur la route [...]
C’est la mélancolie qui a pris quelques années
C’est une flaque d’eau qui se prend pour la mer.

L’enfance
C’est un chagrin cueilli de frais
C’est un jardin, c’est un bouquet
C’est des épin’s aussi

C’est l’paradis dans du cambouis
C’est des caresses au fond d’la nuit
C’est un’ leçon d’ennui

La fleur de l’âge
C’est une idée dans ton corsage
Une idée longue d’une nuit

C’est l’avenir qui meurt à l’aube
Quand tu oublies que je t’oublie
C’est un éclair dans ta corolle
Dans le plein de la nuit
Lorsque tu me racoles

L’amour
L’amour, c’est ta main qui coud
Des fleurs de bijou
À notre vie brève
[...]
L’amour c’est un p’tit licou
Tout fait pour mon cou
Quand je m’y hasarde

La vendetta
C’est le sel qui se prend pour la mer en allée
C’est le vent qui gémit dans ton aspirateur

Les rêves
C’est un peu de la mort qui vit

Le bonheur
C’est du chagrin qui se repose

Alors, maintenant, au plumard, le chagrin !
Et bonne soirée !

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