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Théodore Hannon : choix de poèmes

Opopanax (le début du poème)

Opopanax ! nom très bizarre,
Et parfum plus bizarre encor !
Opopanax, le son du cor
Est pâle auprès de ta fanfare !

Le bouquet des roses, fadeur !
Et fadeur l’haleine marine,
Quand tu viens flatter ma narine,
Berceuse étrange, ô forte odeur !

Dans tes syllabes violentes
Fume l’on ne sait quel encens,
Sa caresse évoque en nos sens
La vision des nuits galantes :

Torses nus et cols en sueurs,
Cheveux déchaînés et qu’embaume
Ton abracadabrant arôme,
Chairs de neige aux chaudes lueurs,

Bras près desquels le lis est jaune
Et sans nerf l’anneau des serpents
S’enlacent en accords pimpants :
Pleurs de vierge, rictus de faune !

L’ambre, le patchouli, le musc
Ont près de ton haleine rouge
Un terne relent dont la gouge
Fait l’embaumement de son busc.

[...]

La fourrure

Ô soirs intimes de décembre !
L’un de ces soirs, soir rouge et noir,
Sur ton beau corps aux pâleurs d’ambre
Tu mis ta fourrure - en peignoir.

La fourrure massive et lourde,
La fourrure aux subtils relents,
Estompa de sa ligne sourde
Ta ligne aux accents turbulents.

Pour ta chair blanche et délicate
La sauvage pelisse avait
Des étreintes douces de chatte
Et des caresses de duvet.

Marbre, bronze, nacre, or de buire
En conquête sous la toison,
Que de trésors je voyais luire
Dans l’ombre chaude, ardent Jason !...

Lasse enfin de cette parure,
À tes pieds, en monstre dompté,
Tu fis se coucher la fourrure,
Invincible en ta nudité !

Comme un chant guerrier l’odeur fauve
Jeta son cliquetis dans l’air,
Mêlant ses clameurs dans l’alcôve,
Au fier hosannah de ta chair.

Renoncement (le début du poème)

Je t’aime en la sérénité
De ton rire de blonde grasse,
J’aime la nonchalante grâce
De ta riche animalité,

J’aime en sa froideur sans pareille
Ton cœur qui ne peut s’émouvoir
Et jamais n’a daigné savoir
Les aveux faits à ton oreille.

En ton beau corps tout est grandeur !
Sur ton cou rond, sur tes épaules
Larges à soutenir les pôles,
Ta tête dresse sa splendeur,

Tes bras montrent le grain du marbre,
Tes bras aux pleins enlacements ;
Ta jambe en ses rondissements
A la robustesse de l’arbre.

Sur ces nobles piliers de chair
Aux discrètes pâleurs d’ivoire,
Tes hanches étalent la gloire
Du ferme contour qui m’est cher.

Ta chevelure épaisse et jaune
Comme les blés en messidor,
Semble orner d’un lourd casque d’or
Ton front d’où l’Impassible trône.

Ta gorge a l’éclat de la mer :
Tes seins forment la blanche houle
Où ma tête ardente se roule
Et vient noyer le spleen amer.

Toi dont la pulpe épanouie
Dans une insolente santé
Vient offrir son régal vanté
À ma gourmandise éblouie,

Je t’aime d’une passion
Où le cœur n’a point sa réplique,
Et d’un culte que ne complique
Nulle idéalisation.

J’aime en toi la seule matière :
Le parfum, le son, la couleur,
Le rythme, la forme en sa fleur,
Voilà ma passion entière !

[...]

Les beaux vices de Jane

Jane est vannée, — et l'est superlativement !
Son épiderme ambré, que les nuits ravagèrent,
Garde un subtil arôme où les sens s'exagèrent,
Où le clairon des nerfs geint maladivement.
Jane est vannée, — et l'est superlativement !

Sa bouche apéritive a des baisers étranges,
Bons au cœur, mais pillards de phosphore, ô cerveaux !
Quand l'alcôve, le soir, flambe aux reflets oranges
De ses cheveux tordant leurs fauves écheveaux,
Sa bouche apéritive a des baisers étranges.

Son corps forme un divan tiède et capitonné...
De ses yeux fatigués descendent les paresses.
Sa gorge est l'oreiller blanc, où pelotonné,
Le spleen vient alanguir les trop vives caresses.
Son corps forme un divan tiède et capitonné.

Sur son clavier de nerfs aux notes détraquées,
Pleure le lamento des cœurs ivres d'ennuis.
Pourtant le hallali des extases traquées
Se sonne allègrement aux belliqueuses nuits
Sur son clavier de nerfs aux notes détraquées.

Mais son amour est doux comme un soleil couché.
Pour qui sait la comprendre, en ma Jane est caché
Ce charme douloureux (méconnu du profane)
Du parfum qui s'évente et de la fleur qui se fane,
Car son amour est doux comme un soleil couché.

Rimes de joie, 1881. 

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