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Ô souviens-t’en !

T'en souviens-tu ? Ô souviens-t'en !
Quand nous étions petit enfant.
De nos beaux châteaux sur la plage,
De ces algues, de ces galets,
De ce tout petit coquillage,
De la nacre, de ces palets.
Quand sous la pluie, après l'orage,
Nous ramassions les escargots,
Dans la sente, sous le feuillage,
Nos pieds boueux, dans nos sabots, ...
Du premier mai, de notre Mère,
De ce petit brin de muguet,
Qu'avait acheté notre Père,
Que nous lui tendions le cœur gai
Du jardin, de la marguerite,
Du bleuet, du rhododendron,
Et de la fourmi qui l'habite,
Et de la reine sur son tronc. 

Toutes nos pages d'écriture,
De nos encres, de nos buvards,
De nos déliés, de la rature,
Du chuchotement des bavards,
De la première bicyclette,
De notre envol sur le chemin.
Et puis jusques à la Villette,
Au guidon qui tient sans la main.
Des contes et des chansonnettes,
Que nous chantait Dame Laurent,
De la radio, des opérettes,
Qu'on se figurait sous l'écran,
Du Pleyel, ses touches d'ivoire,
Du premier son qu'en ressortit
De celui de la touche noire,
Sous nos mains au doigt tout petit.

Sur les quais, tout près de la rade,
Faits de sable, nos toboggans,
Nos enterrements, la glissade,
Les péniches et les chalands,
Des tours à la fête foraine
Sur les petits chevaux de bois,
Et du ventre de la baleine,
Sur l'esplanade entre les toits.
De nos regards des gourmandises,
Devant les étals, des bonbons,
Et de toutes ces friandises,


Que nous sucions, qu'ils étaient bons
Du déguisement de niçoise
À mardi gras, au bal masqué,
De ce toréador framboise,
Des loups, du gladiateur casqué.

De notre aïeul, de sa peinture,
De tous ses tableaux sur le mur,
De sa Fanny, sa chevelure,
De ses soleils, ses ciels d'azur ;
Du premier film de notre enfance,
D'Yma Sumac, des cinémas,
L'extase toute la séance,
Au cœur du secret des Incas.
De tous ces beaux feux d'artifice,
Des défilés, sans le combat,
Du quatorze juillet à Nice,
L'anniversaire de Papa.
Du petit baigneur miniature,
De son vêtement crocheté,
Sa culotte, la fioriture,
Que Maman avait tricoté.

Quand nous retournions la poêlée
En ce jour de la chandeleur,
De la crêpe au sucre ou salée
De l'anneau d'or porte-bonheur,
De tous ces œufs durs pour la Pâques,
Que nous avions peinturlurés,
Cachés des mains de l'oncle Jacques,
Que nous recherchions égarés.
De nos fougueux champs de bataille,
D'oreillers et de polochons,
Nos galipettes dans la paille,
Et de tous nos jeux de bouchons.
Quand nous nous cachions sous la table,
Recouverte d'un édredon,
De nos récits, de cette fable,
De nos fous rires sans raison.

De nos premières découvertes,
De nos premiers ravissements
Des toutes jeunes amours, certes,
De nos purs et chastes amants,
De la petite coccinelle
Qu'on appelait « bête à bon dieu »
Qu'on envoyait à la nouvelle,
De notre sœur loin dans les cieux,

De la vision du petit frère
Sous le bras de Maman blotti,
Quand nous goûtions son lait de Mère
Pour être aussi « son tout petit »
De tous nos départs en vacances,
Dans la belle traction avant,
De tout notre amour pour la France...
Que nous la parcourions souvent !

Du ténor qu'était notre Père,
De tous ces airs que nous chantions,
La voix de soprane de Mère,
De tous ces chants que nous aimions,
De la grotte des Demoiselles,
De ce gouffre de Padirac,
Rocamadour, les citadelles,
De ces moutons de Bergerac.
Des arrêts aux bord de la route,
De ces mûres, de son muscat,
La limonade au casse-croûte,
Des baguettes, du chocolat
Du crabe et puis de la crevette,
Nos pieds nus au creux du rocher,
Et dans la main notre épuisette,
Tout notre attirail pour pêcher.

Sur le sable nos cavalcades,
Nos concours de sauts périlleux,
Du grand écart, des escalades,
Du gros ballon vertigineux.
Dans les gorges, de la descente,
Nos trempettes dans le torrent,
De l'eau glacée et transparente,
De ce petit bonheur bien franc.
Du chemin de fer, la barrière,
En attendant passer le train,
Des sifflements, de la poussière,
Et de nos signes de la main.
Des belles danses folkloriques,
De ces retraites aux flambeaux,
De Bretagne et des Armoriques,
De son cidre et ses bigorneaux.

Des Drakkars, du pays de Galles,
Au port de Sète et l'arsenal,
Des joueurs de joutes navales,
De leurs plongeons dans le canal

À la villa sous la tonnelle,
De ses figues, de ses raisins,
De la sieste sous l'ombrelle,
Du babillage entre cousins.
Du journal servant de tue-mouche,
Que par surprise on recevait,
De la main de Papa, farouche,
Qui malicieux s’en excusait,
Le soir, des criquets, des cigales,
De la chaleur et du parfum.
De sous les clairs de lune pâles,
De la lavande et puis du thym.

De ce jeu de golf miniature,
La nuit, des tournois de tennis,
De ce sorbet pêche nature,
De la pétanque et du pastis.
Entre les criques de nos rôdes,
Du baby-foot et des radeaux,
Des beignets, des pralines chaudes,
Du ping-pong et des pédalos.
De Picasso, la céramique,
En plein air la voix de Trenet,
Nos marches de jazz d'Amérique,
Quand nous suivions Sidney Bechet,
De ce tic-tac de la pendule,
De ce châlet suisse à coucous,
L'oreillette et le ventricule.
Et de nos battements de pouls.

De cette dent de lait tant folle,
Guettant la petite souris,
De ces rêves où l'on s'envole,
Où l'on devient tout petit pi.
De ces dix chiffres, et du nombre,
Des additions, des soustractions,
Des trente-trois degrés à l'ombre,
Et de ces multiplications.
De la dame à la balançoire,
Nos petits sous qu'on rassemblait,
Son coup de pouce et puis la gloire,
Quand, sans son aide, on démarrait
Quand nous jouions à la marelle,
À « dis-moi Mère, que veux-tu ? »
Chatte perchée, à la chandelle,
À « je me cache, m'as-tu-vu ? » 

Sur la scène de la kermesse,
Quand nous dansions en arlequin,
De notre cœur plein d'allégresse
Quand nous chantions en mandarin,
À Grévin, des faces de cire,
Des assassinats Oh ! l’horreur !
Des miroirs où l'on se voit pire,
Et du prestidigitateur.
Du théâtre d'enfant modèle,
Des artistes que nous étions,
Du phonographe à manivelle,
Et des premiers microsillons.
De nos essais des castagnettes,
Du boléro, du flamenco,
Et de la danse de claquettes,
Et puis du rock et du tango.

T'en souviens-tu ? Ô souviens-t'en !
Quand nous étions petit enfant...

Vénus Prin's

© Vénus Prin's
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