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Jeux à vendre

Je vous vends cette passerose,
Belle le dire vous ne l’ose,
Ni ne voyez en organdi,
Ma robe et son bouquet fleuri,
Comment amour vers vous m’attire,
Si l’apercevez sans rien dire. 

Je vous vends la fleur de mellier,
Sire joli chevalier,
Elle veut dire en son langage,
Quelque secret serment d’usage,
Telle pour vous souvent soupire,
Qui vous aime et ne l’ose dire. 

Je vous vends la fleur des muguets,
Les médisants sont aux aguets,
Ami, sûr que chacun vous guette,
Qui n’en faites qu’à votre tête,
Quand vers moi vous devez venir,
Que sonne l’instant de chérir. 

Je vous vends le panier d’osier,
Nul ne doit aimer ni priser,
Homme qui de femme médit,
Ni croire en rien de ce qu’il dit,
Si vous êtes de cette veine,
Moins aimé vous serez en peine. 

Je vous vends la claire-fontaine,
Je vois bien que je perds ma peine,
Dame de tant vous requérir,
Puisque rien n’y puis acquérir,
Je maudis l’heure où je vous vis,
Je m’en vais, et adieu vous dis. 

D’un épervier vous vends la longe,
Quand un amant plein de mensonge,
Est souvent parjure trouvé,
D’amour doit être réprouvé,
Car amant ne doit à sa dame,
Mentir en louange ou pour blâme. 

Je vous vends le songe amoureux,
Qui fait joyeux ou douloureux,
Pour celui qui en a le songe,
Car il ne peut être un mensonge,
Fait de nuit il me fera voir,
Si votre amour je puis avoir. 

Je vous vends l’aloe qui vole,
Votre gracieuse parole,
Et votre doux et beau semblant
Doux ami, va mon cœur amblant,
Si ne vous puis plus éconduire
Car vôtre suis sans contredire. 

Je vous vends la branche d’olive,
Où monde n’a femme qui vive !
Que je veuille servir pour vous,
Si me retenez entre tous,
Ami, plaisant, que je chéris,
Ne m’en demandez trop ma mie. 

Je vous vends cette marjolaine,
Je pense la dame vilaine
De lui répondre rudement
Et de lui dire sûr qu’il ment,
Quand son amant mercy lui crie,
Et qu’humblement il la supplie. 

Je vous vends la feuille de houx,
J’ai bel ami, plaisant et doux,
Par le ciel ! qu’il soit gentilhomme,
Comme il est gentil et bel homme.
Aux délicates attentions,
Qui me ravissent d’émotions. 

Du pain blanc je vous vends la mie.
Que votre coeur ô ne m’oublie !
Quand je serai bien loin de vous,
Amour vous dis de mon cœur doux.
Jour après jour à vous il pense,
Fleurissez-en la souvenance !   

Fleurs vous vends de toutes couleurs,
Je suis hors de toutes douleurs,
Quand vous me faites bon accueil,
En amoureux, d’un seul clin d’œil
Mais quand de moi z’êtes colère,
La mort me sera la plus chère !

Vénus Prin’s
d’après Christine de Pisan (1365-~1430)

© Vénus Prin’s 
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