Version imprimable

L'âne et le libraire

Du fond de son antre, un libraire fort morose,
Parcours distraitement, une œuvre de prose.

Le Libraire (in petto)
Le chaland se fait rare et l'argent davantage,
Je devrai relever, mon petit pourcentage.
La portée sera faible, les ventes sont petites...

Le grelot de l'entrée obture ces critiques hépatites.
Un puissant et bel âne, sur le seuil se présente,
Son œil droit est caché d’une oreille pendante,
Au bout de son museau, des besicles surannées,
Réellement, lui confèrent une allure bien née.

Le Libraire
Je vous salue, Monsieur, que puis-je faire pour vous ?
Votre présence ici me confond, je l'avoue !

L’Âne
Je suis un écrivain, j’élabore des phrases,
Il s'agit de mémoires, ma vie en est la base.

Le Libraire
Les mémoires d'un âne, je crains que ce soit fait.
L’auteur en est Ségur, le lûtes-vous jamais ?

L’Âne
Vous me croyez sot, j’en suis très mécontent.

Le Libraire
Je suis certain que non, vous avez du talent.
Faire de vous un poète... croyez que j'y médite ?

L’Âne
C’est cela qui me convient, qu’une édition m'édite.

Le Libraire
Comme vous y allez, jamais en littérature,
Nul de vos semblables fit l'objet de lecture,
À peine la peinture nous fit Aliboron.
Dans les choses des lettres, ces gens sont des larrons.
Les prix sont prodigués par ceux de nos espèces.
Le talent n’est plus rien ! Pour gagner leurs largesses,
Seules vos actions passées, ou le nom que vous portez,
Pourraient, dans cette confrérie, peut-être, vous apporter !

L’Âne
Fi donc de ce monde ou le profit fait loi,
Je m'en retourne, Monsieur, car je veux être moi !

MORALITÉ
Les fortunes de croiser un âne qui lit, braire,
Devancent largement le tarin d’un libraire.

Mondolius

© Mondolius
PrécédentSuivant