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Nocturne

Les champs de salsifis ondulent à la brise...
Les poireaux sont en fleurs et embaument la nuit...
La laitue au jardin, que le zéphir défrise,
S'attendrit sur le sort triste des pissenlits.

Dans un coin où Phébé glisse un regard coquin,
Une boîte en fer blanc scintille comme un astre,
Et pleure son kilo de petits pois surfins,
Qui fut mangé lundi, chez un plombier de Castres.

Un vieux débris rouillé (mais qui fut une auto !)
Radote sans arrêt ses souvenirs de gloire.
De son premier boulon à son dernier poteau !
Des éclats de cervelle illustrent son histoire.

Sur un tas de fumier auréolé d’odeurs,
Une antique chaussette, ému’, se félicite
D'être venu’ corser cette ample puanteur,
Dans toute la mesur’ de ses humbles mérites.

Soudain, dans la nuit bleu', par delà les clapiers,
S'élève un cri d'enfant qui affole sa mère ;
Un appel angoissé : « Maman ! J'ai pas d’ papier ! ! !
- Moi non plus, prends ton doigt ! » Ô la vi’ des chaumières !...

Un escargot gémit car lui, il prend son pied,
Tout seul. II a vingt ans, il est beau et il s'aime.
Puis, entonne le chant des gastéropédés
Faisons plus que jamais notre bonheur nous-mêmes !

Enfin, le ciel blanchit du côté du levant...
Le coq, mal réveillé, décroche sa trompette...
C'est l'aube - Un vent léger souffle les vers luisants ...
Les artichauts ont peur qu'on leur coupe la tête.

Jean-Pierre Girard

© Jean-Pierre Girard
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