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Édito de rentrée
(septembre 2000)

Vous vous souvenez de la rentrée ? Oui bien sûr, chaque année, c'était pareil, il y avait l'anxiété du premier jour d'école, les odeurs si particulières des livres neufs et de l'encre violette ou bleue... Il fallait s'habituer au cartable, aux nouvelles chaussures, aux nouveaux profs, aux nouveaux copains... Et puis c'était l'automne, les matins frais, les soleils doux d'après-midi et, pour nous consoler de ne plus être en vacances, le vieil instituteur demandait la première rédaction : « Racontez une histoire de vacances ».

C'est la rentrée, et je ne vais pas faillir à cette tradition. Je répondrai donc à cette question qui me taraude l'esprit depuis qu'elle m'a été posée :

« Pourquoi le poulet a-t-il traversé la route ? »

Une poule sur un mur picorait du pain dur. Libre et élégante, elle dégustait les miettes oubliées. Était-ce les miettes d'un sandwich d'un ouvrier, celui-là même qui martelait la route de son marteau piqueur ? Ou les reliefs d'un déjeuner d'enfant ayant choisi le chemin des écoliers plutôt que celui de la cantine ? Ou le reste de baguette que la vieille dame distribuait en offrande aux oiseaux ?

La poule picorait sur un mur, libre, loin des batteries industrielles où se gavaient ses congénères : les Cocottes-Minute, les poules pondeuses, les poulets aux hormones, somnolents et sans émoi, destinés à un abattage proxénète par ces souteneurs nantis de subventions communautaires, ces empoisonneurs jouant au poker la santé de leurs concitoyens.

Le poulet était en faction, épiant cette ingénue réfractaire et oubliant son devoir de régler la circulation sur cette route en travaux, où il devait assurer la sécurité des enfants sortant de l'école, car c'était le jour de rentrée des classes ! Il ne fallait pas commencer par perdre un de ces loupiots, il y avait assez des accidents de Concorde ou des naufrages de sous-marins russes, sans parler des clones britanniques qui allaient nous envahir, rééditant ainsi la guerre de cent ans. Et alors comment les bouterait-on hors de France ces clones-là ? Qui serait la nouvelle Jeanne d'Arc, où trouverait-on une pucelle pour faire l'affaire ? Pas au parlement de Strasbourg...

Le poulet était en faction, il imaginait, tel le cantonnier ou le sous-préfet aux champs un monde où les poules auraient des dents ; non il n'était pas un poulet mouillé, ni poulet d'Afrique, de Barbarie, de Numidie ou au curry, seulement un poulet artiste contemplant cette femelle gallinacé qui lui rappelait les chansons enfantines : 

une poule sur un mur qui picore du pain dur...
une poule rousse
une poule blanche
une poule grise
une poule brune.

Et c'est alors qu'il décida de traverser la route pour lui porter le poulet qu'il venait d'inventer.

« Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris, j'ose vous aborder pour vous dire ceci :

Heureux qui picore et glousse librement
Je suis embarrassé pour vous faire compliment
Je suis comme une poule qui aurait trouvé un couteau
Si vos ailes lumières et votre crête fière
N'allumaient en mon cœur un tel brasero
Ah ! poulette tendresse, indifférence au grain
Je vois dans ma hardiesse le lait de mon chagrin »

Surprise dans son festin, la poulette le toise : comment un poulaga ose-t-il rimailler ? Passe encore un vrai coq, un don Juan de haute-cour, mais un chapon en uniforme, en faction sur la route ?

C'est alors que le poulet traversa la route.

Elle gloussait sur le mur, se gaussait, prête à lui rabattre son caquet, quand survint dans l'azur l'ombre d'un épervier. Elle se mit à crier, craintive et tremblante et courut se réfugier dans un panier à salade. Sans rancune, lui tendit le bec pour un premier baiser et s'apprêtait à lui préparer un lait de poule avant de l'emmener à une poule d'essai d'un sport de son imagination classé X.

L'épervier faisait des ronds de plus en plus serrés sur la route, le poulet sortit pour chasser l'intrus et l'insulta :

- Alors, tu fais la nique au renard, pour lui donner la chair de poule criant au loup ?

- Toi, mon poulet, tu me caches quelque chose, alors je vais me mettre en pool position et on verra bien qui gagnera la poule et si votre honneur doit en souffrir, nous réglerons ce différend par une poule à l'épée ou au pistolet, là-bas de l'autre côté de la route sur le mur où elle picorait du pain dur.

Et voilà pourquoi le poulet traversa la route tandis que le cantonnier réparait les nids de poule, mais peut-être installait-il quelque gendarme couché ?

Nicole Barrière

© N. Barrière, septembre 2000

 

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