Deuils et vies parallèles

Deuils

Le décès de sa fille a été le plus déchirant pour Victor Hugo. Même si on arrête les comptes à cette année 1855 où il termine Les Contemplations, il n’est pas le seul à l’avoir profondément affecté. À 19 ans, en 1821, il a perdu sa mère, Sophie Trébuchet. En 1823, son premier enfant, Léopold (du prénom de son grand-père paternel) vit moins de trois mois. En 1837, son frère Eugène, qui a deux ans de plus que lui, meurt enfermé après de longues années de schizophrénie, sans doute provoquées en partie par le mariage en 1822 de Victor avec Adèle Foucher, dont il était aussi amoureux. En 1846, c’est Claire Pradier, la fille de sa fidèle maîtresse, Juliette Drouet, qui s’éteint.

Ses enfants

Il a eu avec Adèle d’autres enfants que Léopold et Léopoldine : Charles (né en 1826 et qui mourra en 1871), François-Victor (né en 1828 et qui décèdera en 1873) et Adèle, née en 1830, elle seule survivra à son père jusqu’en 1915 (Victor Hugo est mort en 1885), mais connaîtra bien des errances (au sens propre comme au sens figuré) et des années passées dans une maison de santé.

Vies parallèles

Pendant toute la période de vingt-cinq ans évoquée dans Les Contemplations entre 1830 et 1855, sa vie s’organise entre deux pôles : d’un côté le pôle familial avec Adèle, Charles, François-Victor et Adèle-fille, ainsi qu’avec ses frères Abel, l’aîné, et Eugène ; simultanément, d’un autre côté, Juliette Drouet, que Hugo rencontra en 1833 au moment où était mise en scène sa pièce Lucrèce Borgia et où Juliette espérait développer une carrière d’actrice. Que ce soit à Paris ou plus tard en exil, il vit au domicile conjugal, et rend fréquemment visite à Juliette, qu’au gré de ses déménagements, il installe plus ou moins à proximité de ses lieux de résidence. Presque chaque année, il fait avec elle un grand voyage. Follement et durablement amoureuse de son « Toto », elle entretient avec lui une très riche correspondance et recopie soigneusement ses œuvres au fur et à mesure de leur création. Tout cela n’empêche pas ledit Toto, vite lassé quand l’attrait de la nouveauté n’est plus là, de mener par ailleurs une vie amoureuse extrêmement diversifiée, allant des amours tarifées ou ancillaires ou simplement passagères à l’amour-passion pour Léonie Biard (entre 1843 et 1851, c’est entre trois lieux de vie que Victor Hugo évolue, longtemps à l’insu de Juliette). Dans les carnets naïvement codés où il tient registre de ses frasques, il a écrit : « Je pense des femmes comme Vauban des citadelles. Toutes sont faites pour être prises. Toute la question est dans le nombre de jours de tranchée ».

Victor Hugo écoutant Dieu
vu par Chantal Zingarelli
d'après une photo d'A. Vacquerie

L’exil

Après le coup d’état du 2 décembre 1851, il s’exile à Bruxelles d’abord puis à Jersey, qu’il doit quitter pour Guernesey en 1855. En 1859, il refusera l’amnistie accordée par Napoléon III. Il ne rentrera en France qu’en 1870. Je n’en dirai pas plus sur son action politique, car il n’y en a guère de traces dans Les Contemplations : il a fait paraître ses poèmes contre Napoléon III dans Les Châtiments en 1853, au lieu de les inclure, comme il en avait eu un moment l’idée, en une dernière partie des Contemplations.

Mais je ne peux laisser de côté l’histoire des Tables tournantes ou « parlantes », comme on disait alors.

Pierre Blavin, Présentation des Contemplations de Victor Hugo - 2