Le Veau et le Lion

                         Quelqu’un a dit naguère :
                         « Les Français sont des veaux ! »
                                      Je crois qu’il exagère !
Car les bonnes âmes répliquèrent aussitôt :
 « Tout se vaut ! » J’adhère à cette affirmation :
         Les bonnes âmes ont bien raison,
Tout se vaut ! Aucun doute vous dis-je,
         Un veau à un lion fait la pige !
Voyez cet homme assis dans le désert ;
Un soleil exalté incendie l’atmosphère,
            Tout près de lui est un tas d’or.
            Déshydraté et presque mort,
            Il sait qu’il ne reverra plus l’aurore.
Quand surgit tout à coup un quelconque bédouin...
Pardon ? Le mot n’est pas assez... égalitaire1?
            Pourtant dans le désert...
Disons alors un chamelier des plus communs.
            Or, et tandis que sa vie s’évapore
Que lui propose-t-on ? De troquer son trésor
Contre une outre d’eau qui le sauvera !
            Sauf à être un imbécile
Ce moribond comprendra que cette eau,
            Vaut un amas d’or inutile :
            Et c'est ainsi que tout se vaut !
D’ailleurs, il en est de même en matière d’Art.
Les bonnes âmes vous le diront : L’art,
            C’est ce qui est cher ;
Et donc ce qui est cher est beau2 ! Soyons plus clairs :
            Un urinoir rebaptisé Fontaine3,
Devant lequel piétinent en file indienne
            Des peuplades de gobe-mouches ;
            Un étron ou une chiure de mouche
            Artistiquement posés sur la toile,
            (Estimés à trois millions de dollars
            Par les marchands d’art),
Eh bien, c’est des beaux yeux derrière les voiles !4
Ces Œuvres-là, martèlent nos médias,
Valent le Saint Jean-Baptiste de Vinci,
            Les Chevaux de Saint Marc
Ou les plafonds de la Sixtine... Et c’est ainsi
Que tout se vaut : Fourrez-vous le dans le crâne :
Un veau qui pleurniche vaut un lion qui rugit.
Pour nos chers médias, comme pour les bonnes âmes,
         Qui dans l’ensablement de leur cerveau,
         Craignent toujours de manquer d’eau !

           Yves Tarantik            

 1 La manipulation des mots bat son plein dans les milieux bien-pensants. Il est (par exemple) mal venu de dire art primitif en parlant de l’art africain ancien, il faut dire : Art premier (sic). Or les murs du métro sont actuellement couverts de grandes affiches qui annoncent une exposition de peinture consacrée aux Primitifs italiens (Les artistes de la Renaissance). Ce qui convient pour les italiens serait donc insultant pour les africains ? Comprenne qui voudra...
2 Entendu tel que, à la télévision, sortant de la bouche d’une critique d’Art contemporain : «Très introduite dans les milieux initiés».
3 ... Pour le seul privilège de l’apercevoir, quand il y a le même au fond de nombreux bars. Il s’agit de l’urinoir baptisé Fontaine par Marcel Duchamp un des mentors de l’art contemporain, ce ready-made qui consiste à affirmer qu’un objet est une œuvre d’art pour que cela change son statut et qu’il le devienne aussitôt. Si vous déclarez que votre dérouleur de papier toilette est une œuvre d’art, et que vous l’exposiez, il le devient... et du même coup vous êtes un artiste !
Restera à vous faire coter (si possible a 1 ou 2 millions de $) par les galeries et le «Marché» de l’art, mais ça... c’est une autre histoire !
4 Merci à Paul Verlaine.

© Yves Tarantik