Dans le train Bourges-Paris

Je m’étais assoupi, bercé par le ronronnement des essieux et je risque un œil vers la transparence incertaine de la vitre. Dehors, c’est sûr, il se passe quelque chose. Je vois l’armée des sapins, toujours prête dans son uniforme vert sombre, se mettre en marche, tandis que les peupliers, éternels retardataires, leur courent après, leur nudité à peine couverte, dans l’urgence, de quelques feuilles du dernier automne. Mais pas seulement les arbres, tout se met en route à notre passage : les maisons, les mares, les étangs. Toutefois pas dans la même direction que nous, non, en sens inverse. Comme c’est étrange ! Ils filent à notre rencontre puis disparaissent derrière nous, comme si tout fuyait un cataclysme imminent qui se produirait justement là où nous allons. Quelque chose que seules les choses et les bêtes peuvent sentir, grâce à un instinct qui nous a déserté depuis des millénaires.

Ne serions nous pas, nous-mêmes, porteurs d’un tel cataclysme, nous qui n’en avons pas la moindre idée, seulement préoccupés par quelques tâches quotidiennes qui nous attendent, et par l’employé qui vient contrôler nos titres de transport ?

Étrangement, je ne me sens pas vraiment inquiet. Peut-être est-ce la poussière des vitres, négligée à dessein par le personnel d’entretien, qui filtre l’angoisse, la rejetant au dehors. Peut-être même ont-ils reçu des consignes. Venues d’en haut ?

De rares autos, sur la petite route parallèle à la voie, nous suivent ; des gens probablement dans l’ignorance. Pourtant, leurs vitres, elles, sont propres. Comment peuvent-il échapper à cet élan de fuite général ?

Et là-haut, l’étrange indifférence des nuages ?

Serge Dinerstein

© Serge Dinerstein