À Charles Poncy, de Toulon

À toi mes premiers vers, mes chansons, mes pensées,
                Pauvres couplets disséminés
                Peut-être à l'oubli destiné.
Partez, rimes aussi douteusement placées.
                Poncy, je te l'ai dit déjà,
Jamais rien je n'appris, et j'en conviens sans honte,
D'école quelques ans à peine si je compte.

                Jeune enfant, mon père abrégea
Mes leçons. Il me dit : tu sais écrire et lire,
                Mon fils, tâche d'en profiter ;
                Tu sais bien aussi réciter ;
C'est assez : à mes vœux, Charles, veux-tu souscrire ?
                De ton père apprends le métier,
Nos honnêtes aïeux ont poussé la navette,
De l'une à l'autre main tu sais comme on la jette,
                Crois-moi, reste passementier.
Il dit ; moi j'obéis, et le cœur plein de joie
                Tous mes livres je ramassai,
                Dans un carton tout entassai,
Et dès le lendemain je dévidais la soie.

                Non, jamais je n'ai regretté
Mon sort, mon avenir ; en eux j'ai confiance,
Je couler mes jours avec insouciance,
                Sans fortune et sans pauvreté...
L'on ne verra jamais ma muse trop frivole
                Placer un mot grec ou latin ;
                Pauvre écolier, pour le butin
J'eus le premier grand prix de la petite école :
                Je suis peu fier de ce succès...
Pardon, bon professeur, votre unique science
Était, il m'en souvient, l'utile patience,
                Vous ne saviez pas le français.

Chansons, 1843

Charles Marchand était passementier, admirateur de Napoléon et de Béranger, sans doute franc-maçon. À ne pas confondre avec un autre « Charles Marchand », poète ouvrier de la même époque, socialiste et catholique.