Hombre  (ou vive le Numérique !)

Hombre !
Marchant tout en même temps en mode présentiel ou distanciel, numérhystériquement start-uper, itinérant mémoriel.
En même temps, enchiffronné de comptes d'identifiants, workings-pass tutoriels, volontaire avaleur invalideur de logiciels, piteux con péteux s'aplatissant devant tous les autres compétitants.
En même temps, numéro d'âge ou de sécurité si peu sociale, tronche d'unité de tranche indexielle, catégorielle, item insignifiant de liste, mesuré, mensurationné, noté, évalué, prisonnier de courbes, fiches ou cases, codifié fiscal, optimisé fécal, big brothé, à la virgule près, émolumé...

Devant un sombre aréopage de comptables géomètres, statisticiens, sondeurs tyranniques, obsessionnels de l'algorithme, pathétiques pitres pythagoriciens, on l'interroge :
- "Combien ça t'coûte, hombre ?"
-"Un moignon d'dingue : 15 euros pour mon bras, 17 pour mon anus, un peu plus s'il en faut,  pour mon cerveau QI-té, virtuel ou naturel !"

Marche à l'ombre, hombre, marche donc et tais-toi !
Compte plutôt, n'oublie pas de compter, tous les jours de ta vie, tout et n'importe quoi, qu'importe, compte et recompte car à la fin il te faudra rendre compte !
De ton Incarné d'Essence jusqu'à ton certifié décès, tu compteras, tout sera Nombre, équation, énumération, quantification !
De ton immatriculée conception jusqu'à l'ultime validation de suppression de tes vivants fichiers, date après date, tu ne seras que successives mises à jour et videras dans la corbeille de tes ennuis tout le non-lucratif anti-compétitif.
Tu t'en taperas des claviers, tu useras de bien des polices, jour après nuit, nuit après jour, tu béniras et te consacreras au Grand-Tout-Numérique. Dieu est au bout de tes doigts !

    ... Et puis, quand tu seras enfin déconfiné de cet Ecran Total d'ordre calculé paradisiaque, cadavre exclu non bionique, jété de 4 en 5 g, de cet anthropocène de surpuissance économique, anti écologique, on te mettra en tombe, hombre, et tout en bas de ton curriculum-mortae, on gravera ta note, la foutue note de ta foutue vie. On évaluera encore et toujours, comme on l'a fait auparavant, dans l'interminable poussière de ta carrière, des tout premiers balbutiements de l'enfance jusqu'au sombre soir de ta retraite, avec des chiffres, fichtre, toujours des chiffres ! Combien valais-tu donc aux yeux de tous tes fraternels humains contemporains  ? A combien se montait ta cote dans ce monde côtoyé caca-pipi-tata-listique ? Combien de 0 à 10 ?


    Hombre, dors !
    Tu étais un nombre parmi les nombres, tu n'es plus qu'une ombre.

© Éric Lemière, 11 juin 2020