C’est à trop voir les êtres sous leur vraie lumière qu’un jour ou l’autre nous prend l’envie de les larguer. La lucidité est un exil construit, une porte de secours, le vestiaire de l’intelligence. C’en est aussi une maladie qui nous mène à la solitude.
Léo Ferré, Testament phonographe, 1980
Sans fard le petit clown quitte son personnage ;
Sans atours la princesse est une Cendrillon ;
La gente demoiselle est, sous son maquillage,
Un perfide serpent dans un frais cotillon…
Comme il fait mal aux yeux, le cruel éclairage
Qui montre la grimace et le masque tombé
En révélant soudain l’authentique visage,
Implacable rançon de la lucidité.
À trop souvent les voir sous la lumière crue
Et les rayons blafards de la réalité,
Les êtres dégrimés, dans leur vérité nue,
Nous donnent tout à coup l’envie de les larguer.
Larguer, comme on extirpe une vieille habitude,
Un mythe, un rituel, un mal insidieux ;
Rompre sans un remords l’étrange servitude
D’une communauté. Lui faire ses adieux.
Si la lucidité mène à la solitude,
Que le cercle amical peu à peu se réduit,
L’air est plus respirable, empli de quiétude,
Et l’on se trouve alors dans un exil construit.
Pour entrer il convient de montrer patte blanche ;
À quelques vrais amis l’accès est réservé ;
Les volets sont fermés, la porte bien étanche,
Car sans être secret, le domaine est privé.