Samir

Né au bord de l’Euphrate,
D’une mère « encyclopédie »
De culture populaire
Et de père menant carrière
Aux postes de frontière,
Je suis pétri de la pâte
Des multiples Syrie.

À huit ans je note sur petits carnets
Les traditions populaires de mes aînés,
Des quartiers et familles
D’Alep devenu ma ville.

À treize ans j’écris des poèmes
Et des prophéties même :
J’annonce un lendemain
Où serai sans yeux ni mains.

Pendant dix ans j’étudie, euphorique,
L’Egypte et la Perse antique,
Théologie, mystique ;
Passe un bac scientifique,
Scrute le fallacieux communisme
Et le profond soufisme.

Avec mes yeux et mes mains
Croyant en Dieu et en demain

***

Puis à l’armée faisant mon service,
Je deviens spécialiste en explosifs.
Alors, un jour sur le Golan
Je ramasse une mine.
L’Ange de chaque instant
Cette heure-là est absent.

Pour sauver mes camarades
Je retiens la mine
Elle explose

Et m’arrache l’ouïe gauche,
La vue et les mains :
Prophétie du destin. 

***

Envoyé à Madrid pour être soigné
Ma vue est en partie retrouvée :
Avec bouche et bras je me mets à dessiner.
L’Ange blanc est présent.

Mais par une méchanceté,
Je ne peux à temps être réopéré.
Ma vue pour toujours disparaît.
Je deviens compagnon de la nuit.
L’ange noir a œuvré.

Sans yeux sans mains
Croyant en Lui et en demain

***

Un an plus tard j’épouse une jeune alépine.
Par la grâce de générosités
J’achète une maison digne,
L’offrant à la bien-aimée.
En arabe et espagnol j’écris
Et six premiers livres publie.
L’Ange blanc est présent.

Mais neuf ans après,
Par ma femme suis maltraité.
En une nuit et par des jours de folie
Tous mes manuscrits sont brûlés.
De tous mes biens je suis spolié.
De ma maison je suis chassé.
L’ange noir a œuvré.

Sans yeux sans mains
Croyant en Lui et en demain

***

Chez mon frère et sa famille réfugié
Trente ans durant je suis hébergé.
Pour vivre j’enseigne le français,
L’arabe, l’espagnol et l’anglais.
Mes livres sont édités
L’Ange blanc est présent.

Mais la guerre est arrivée
Alep comme Berlin est broyé,
Mon bureau dévasté.
Nous devons émigrer
L’ange noir a œuvré.

Sans yeux sans mains
Croyant toujours en Lui et en demain

Mais en France depuis deux ans,
En paroisse j’ai retrouvé la Fraternité.
L’Ange blanc est présent.

Sans yeux ni mains
Croyant en Lui et en demain

© Patrick Naudin Mac-Auliffe