Style, écriture

Ferré est un poète marquant la deuxième moitié du XXe siècle, à l'expression riche et profonde, où l'influence du surréalisme se fait particulièrement sentir dans les dernières périodes de l'œuvre enregistrée, mais déjà aussi dans les premières. C'est principalement la forme qui a changé : au début elle est surtout néo-classique, ensuite elle sera de plus en plus libre. Il utilise des images surprenantes et complexes à partir des choses réelles qu'il connaît ou a vécu et dont le sens nous plonge dans l'imaginaire ou la réalité si l'on connaît très bien sa vie (voir ci-après derrière les images de « La mémoire et la mer » la réalité qui s'y cache).

Il n'y a pas ou peu de poètes et chanteurs qui dans leur œuvre parlent autant d'eux. Même lorsqu'il paraît obscur, et parfois inabordable, c'est que son écriture l'amène irrésistiblement à transcender le réel pour le rendre surréel mais au sens qu'Apollinaire donnait au surréalisme : « J'ai pensé qu'il fallait revenir à la nature même, mais sans l'imiter à la manière des photographes. Quand l'homme à voulu imiter la marche, il a inventé la roue qui ne ressemble pas à une jambe. Il a fait ainsi du surréalisme sans le vouloir ».

Ainsi Léo Ferré nous parle de SES amours, de SES révoltes, de SES états d'âme et ne nous raconte pas autre chose que lui-même :

Je suis le fantôme Jersey1
Celui qui vient les soirs de frime
Te lancer la brume en baisers
Et te ramasser dans ses rimes
Comme le trémail de juillet
Où luisait le loup solitaire
Celui que je voyais briller
Aux doigts du sable de la terre2


Rappelle-toi ce chien de mer3
Que nous libérions sur parole

 De l'île du Guesclin par temps clair une brume au loin laisse apparaître une image floue de l'île de Jersey.

 

 

Dans leur trémail un Loup s'était pris, le trémail était posé sur une bande de sable qui à marée basse semblait dessiner un doigt.

3 Une roussette s'était prise dans les filets de Frot et Léo. Léo demande, c'est quoi : « Un chien de mer » répond Frot. Léo répond « quoi ! un Arkel (nom de son chien mort), remets-le à l'eau, vite ». Ils ont rejeté la roussette à la mer.

La magie est que l'on peut s'y reconnaître parfois entièrement.

Léo Ferré a refusé tous les honneurs officiels. « Le seul honneur pour un artiste, c'est de n'en pas avoir », Léo Ferré, entretien avec Pierre Bouteiller, France 3, août 1984.

De son vivant, il a refusé de recevoir le Grand Prix de la Chanson Française en 1986, d'être fait Commandeur des Arts et Lettres, de soutenir la campagne présidentielle de François Mitterrand en 1981, contre la promesse d'avoir à sa disposition un orchestre symphonique et un cachet substantiel (En 1988 Ferré appelle à l'abstention) et d'être l'invité d'honneur des premières Victoires de la musique en 1987.

La sélection de ce soir est absolument subjective, elle ne veut pas, car ne peut pas, montrer tous les aspects d'une œuvre grandiose en qualité et quantité. Les œuvres ultimes de Léo sont si longues que, dans le cadre de nos séances de lectures, l'on ne peut en donner que de très courts extraits qui mutilent totalement leur impact et leur sens...

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Serge Carbonnel, Léo Ferré : de multiples talents ! 7/7