Au café du coin

Le vieux peintre, à la longue barbe blanche,
A huit heures précises, sauf le dimanche,
Mène ses pas vers le Café du Coin
Dont il connaît le plus petit recoin.

Depuis dix ans, l’accueillante patronne
Le reçoit, d’une tournure friponne,
Et il s’installe, toujours satisfait,
Avant de créer un ou deux portraits.

Il a peint hier la propriétaire
Du manoir délabré et solitaire.
Elle parle de revoir ses enfants,
Morts à la guerre depuis bien longtemps.

Le couple de coiffeur, gai et affable,
Toujours très sympathique et agréable,
Se dispute pourtant chaque matin
Devant le café et le biscotin.

Il a dessiné la jeune Laurine,
Toute fluette dans sa mousseline.
Triste est son regard du manque d’amour,
Morne est sa voix, sans rire et sans humour.

Ayant croqué l’exquise Pénélope
Qui aime révéler son horoscope,
Il l’écoute parler des séducteurs
Qui peuplèrent sa vie et ses bonheurs.

Il aime l’étonnant garde champêtre,
À grosse moustache, tel son ancêtre.
Il pose son tambour sur le comptoir
Et narre des histoires du terroir.

Les trois demis que le facteur avale
Sont bus d’une appétence colossale
Si bien qu’il fait son circuit de travers
Sur les routes et les chemins de Nevers.

Puis le médecin garde sa sacoche,
Riche d’ordonnances sans anicroche,
En savourant, heureux, son chocolat
D’un mouvement précis et délicat.

Quand un voyageur descend de calèche,
Chargé de sacs pesants au cuir revêche,
L’artiste prend le temps de l’observer
Pour enfin d’un trait, savoir l’achever.

Mais combien l’existence est difficile
Et le temps sans Maria inutile.
Il retrouve dans cet estaminet
Un peu de ses poèmes et sonnets.

Dans chaque dessin, amorce ou ébauche,
Un grand éclat de son rire le fauche
Et de souvenir, il a ses excès
Ses emportements, rêves ou succès.

Il aimerait, au cœur de la taverne,
Que s’éteigne l’éphémère lanterne
Sans qu’un être, par incivilité,
Ne le dessine pour l’éternité.

© Charlotte-Rita Pichon