Rue du chagrin

Moi... j'aime pas flâner sur les grands boulevards
Y a tant de choses y a tant de choses, tant de choses, qu'il n'y a plus rien à voir
Ni d'enchanteur, ni d'espoir, ni de hasard. Que l'grand bazar
Qu'est-ce qu'le fraiseur de chez Citron glane encore dans cette fichu fête funèbre
Et puis est-ce l'usure de la veilleuse cette envie de fermer si tôt les yeux ? J'aime plus me coucher tard.

Moi... j'aime pas flâner sur les grands boulevard. Poètes du soir, bonsoir, noir, rideau !
J'en ai soupé, j'm'en tape. Tiens ! Mon remontant à moi, c'est la rencontre avec la lueur,
Le premier leurre, je m'en tartine tous les matins, en fais mon beurre
C'est le blues de six heures quand j'me casse, quand j'me rends au turbin.
Quand j'entre dans le Paris en attente du trop plein, celui qu'attend qu'on le gave.

Moi... j'aime pas flâner sur les grands boulevards,
Juste avant de prendre l'R atp, je glane les derniers tisons d'or que l'hier a laissé
Dans la nuit pas encore pieutée je râpe mes pompes, je cire constance
Je nique le bus. Je prends le temps... à pinces, à pédibus, à badines
De prendre mon pied, de l'ver la patte là où il est bon de se laisser aller
Comme mes frères les chiens... et leurs maîtres montre et laisse en mains...aux chaussons qui piétinent.

Nous... les bêtes, nous n'aimons pas flâner sur les grands boulevards...
Nous... les bêtes, la truffe endeuillée par votre goût du goudron, on traîne, on fouine, on hume
À la recherche... de failles dans le bitume. On rêve de crevasses, de crevures
À la quête d'une toison dans un sillon, d'un épi vert, de traces d'entrailles, de terre
On aime sniffer hors des grands maréchaux, flairer hors des passages pour canidés
Mais y a plus grand chose dans l'caniveau, plus grand chose à sentir ni à becqueter... Ca fait chier.

Quand j'descends, j'enquille la rue du Surmelin qui s'rine déjà de chants sereins
Nous sommes deux trois pélerins à c't'heure à qui elle appartient... sans sirène
On s'la prend, à chacun son trottoir. Moi, le défi, c'est d'défiler en plein milieu de la chaussée
Jusqu'à la première chignole qui fonce, me cible et fait tout c'qui faut pour m'effacer
J'me gare... y vient de tout déchirer... et la nuit et mon sentier... Le con !

À quelle heure faut s'lever pour s'la descendre peinard tout entier ?
Toc ! Ouverte ! C'est le chinetoque qui s'échine, la toque enfoncée dans la poub verte,
Sans tuba, y nage en surface... Comment plonger la main au fond de ces cons de containers
Misère inaccessible. Faut maintenant des rallonges pour faire la manche, pour manger
Faut s'recycler, s'camoufler en rat ou en blatte pour accéder au fond des boîtes... et encore !

L'autre qui peigne sa parcelle de trottoir louche sur le biffin. Un soupçon de survie !
Je passe fissa mon chemin devant son faux air, de samba... qui indique... du balai !
Au loin, le boulevard grogne, gronde et gagne du terrain... J'peux pas freiner, y a mon train...
Y m'faut ça avant d'rejoindre mon chagrin... un sirop sans sucre, un sasse, ma p'tite rue du Surmelin
Pour noyer la journée qui va encore mettre des plombes à s'écouler. Dire qu'un jour, du temps, j'srai plus la putain.

Moi, j'aime pas flâner sur les grands boulevards, y a tant de choses, y a tant de choses,
Dans les vitrines qui dégoulinent de peaux d'chagrin... y en a tant qu'il y a plus rien
Qu'y a plus rien... qui m'désigne, qu'y a plus rien qui m'fait signe, plus rien qui m'déshabille
J'ai beau coller l'oreille, y a que dalle sous le macadam, ni pour les cabots ni pour les indiens
Y a pu qu'à s'étendre sur l'asphalte... et attendre... et s'rendormir... jusqu'à la prochaine faille.

Christian Debraize Perrard

© Ch. Debraize Perrard