La chanson du bouffon

Les Princes ne se dérideraient pas
S’ils n’avaient sur eux leur bouffon de proie.
L’oiseau tire les fils de leur sourire,
Tire d’un coup sec pour les faire rire.
Les Puissants, les Grands sans lui ne rient pas
— Indispensable est le bouffon des rois.

Cet être mi-Arlequin, mi-Pierrot
Est d’une habileté de Figaro.
Il est Lorenzo et Lorenzaccio
Dans l’imagination d’un Fantasio.

Au carnaval, on le voit, le bouffon
S’empare aisément du sceptre du roi
Mais jamais Prince, reniant sa foi,
N’a pu grimper au rang de bouffon.

Oyez, oyez comme ce renégat sublime
A le rire grave d’une voix qui s’abîme !
Accidents, discordances et désaccords,
Attirent en bas la voix du ténor
Du rire. Que dire si les reines, les rois
Croient entendre de la joie dans sa voix ?
La chanson du bouffon et son air de gaieté
Sont une chair à vif sur un corps d’écorché.

Il va marchant sur son fil, concentré,
Conscient du seuil à ne pas dépasser.
Malheureusement tous les Fantasio,
Peuvent un jour résider au cachot
Pour avoir lancé leur fil haut et loin,
Et fait trop bonne prise, pêchant bien.
Tu ôtes, bouffon, la coiffe d’un roi,
Montrant l’évidence qu’eux ne voyaient pas :
La nudité d’une tête royale,
Découverte d’un geste déloyal.

Ton rire est des plus sérieux,
S’il veut s’en prendre au droit de Dieu.
On ne saurait montrer du doigt
La triste bêtise des rois.

« Rien n’est sérieux en ce bas monde que le rire » :
À celui dont tu avais omis la satire,
Tu prononças ces quelques mots sur l’échafaud.
À ton dernier visage, ton ami, ton frère,
Ton bourreau, tu rendis ton rire sans colère
Pendant que toute ta vie pesait sur ton dos.

© Jennifer Grousselas