Premières œuvres

La simple énumération des titres de ses principaux recueils est un bonheur ! Elle révèle à la fois les thèmes de prédilection de notre poète et la puissance de son expression :

Les Flamandes, Les Moines, Les Soirs, Les Débâcles, Les Flambeaux noirs, Les Campagnes hallucinées, Les Villes tentaculaires, Les Villages illusoires, Les Heures claires, Les Visages de la vie, Les Forces tumultueuses, Toute la Flandre, Les Heures d'après-midi, La Multiple splendeur, Les Rythmes souverains, Les Heures du soir, Les Ailes rouges de la guerre, Les Flammes hautes.

Mettons à part Les Heures, qu’elles soient claires, d’après-midi ou du soir. La plupart des autres titres nous font attendre de majestueuses beautés ou le développement de sujets graves.

Pourtant si l’on ouvre le premier recueil paru, Les Flamandes, on est surpris de tomber dès le premier poème sur des goinfres en ripailles arrosées. Je cite :

Leurs commères, corps lourds où se bombent les chairs
Dans la nette blancheur des linges du corsage,
Leur versent à jets longs de superbes vins clairs,
Qu'un rais d'or du soleil égratigne au passage,
Avant d'incendier les panses des chaudrons.
Elles, ces folles, sont reines dans les godailles,
Que leurs amants, goulus d'amours et de jurons,
Mènent comme au beau temps des vieilles truandailles.

S’ensuit presque une centaine de vers du même acabit, et plus imagés encore, jusqu’à l’écœurement. Et savez-vous quels sont ces goinfres ? Ce sont les maîtres flamands, Craesbeke, Brackenburg, Teniers, Dusart, Brauwet et Steen ! Leurs peintures ont inspiré à Verhaeren les descriptions de ses Flamandes. Nous sommes en 1883, il a déjà 28 ans, il n’a jusqu’alors publié que dans des revues : c’est pris d’un grand désir de se faire connaître qu’il a forcé le trait et a aisément réussi à faire scandale. Il n’aura plus besoin par la suite d’utiliser de la sorte ceux qu’il appelle « Les vieux maîtres », titre du poème que je viens de commenter.

En contraste saisissant, son second recueil, trois ans après, en 1886, s’intitule Les Moines. C’est là que commence à apparaître clairement ce mélange de nostalgie et d’espérance des lendemains qui caractérise un grand nombre de ses poèmes. Il a rompu avec la foi catholique de son adolescence. Pour lui, la cause est entendue : il considère que dans la société qui se construit sous ses yeux à la fois inquiets et émerveillés, Dieu est d’ores et déjà mort.

Mais ses portraits de moines, même parfois mêlés d’ironie, et ses descriptions des cérémonies et de la vie monacale, de même que, plus tard, celle des cathédrales, sont un hommage aux réalisations et aux hommes des siècles chrétiens.

Ces deux premiers recueils sont en grande partie écrits en alexandrins réguliers. Ensuite, Verhaeren utilisera une grande variété de mètres et, à l’instar de beaucoup de poètes symbolistes, usera volontiers du vers libre : le flot impétueux de son inspiration s’accommodait souvent assez mal de moules préétablis.

Dessin de Théo van Rysselberghe, 1915

Poèmes lus le 10-12-2012

La vachère (par Yves Tarantik)
Portraits de moines, extraits (par Gérard Trougnou et Pierre Blavin)

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Pierre Blavin - É. Verhaeren, un nostalgique fasciné par le Progrès - 2