Émile Verhaeren (1855-1916), un nostalgique fasciné par le Progrès
Soirée du lundi 10 décembre 2012

par Pierre Blavin

« Le rêve ancien est mort et le nouveau se forge. »

Ce vers du poème « L’âme des villes » résume à lui seul la philosophie d’Émile Verhaeren et le thème majeur de sa poésie. De tous les poètes de la période dite symboliste, nul ne s’est intéressé autant que lui aux transformations dues à la révolution industrielle du XIXe siècle.

Comme Rodenbach, Maeterlinck et Van Lerberghe, il est flamand, mais s’exprime en français dans ses œuvres.

Je suis né là-bas, nous dit-il, dans les brumes de Flandres,
E
n ce petit village où les murs goudronnés
Abritent les marins pauvres mais obstinés
Sous les cieux d'ouragan, de fumée et de cendres.

Cela se passe en 1855 et ce « petit village », c’est Saint-Amand, dans la province d’Anvers, au bord de l’Escaut, fleuve qu’il célèbrera beaucoup plus tard, notamment en ces termes :

Il n'est qu'un fleuve, un seul,
Qui mêle au déploiement de ses méandres
Mieux que de la grandeur et de la cruauté,
E
t celui-là se voue au peuple - et aux cités
Où vit, travaille et se redresse encor, la Flandre !

Dessin de Félix Valloton, 1896

Au Collège Sainte-Barbe de Gand, tenu par des Jésuites, c’est un élève plutôt turbulent, semble-t-il. Il fait ensuite des études de droit, comme son ami et condisciple plus sérieux que lui à Sainte-Barbe, Georges Rodenbach. Mais, plus intéressé par des rencontres à Bruxelles ou à Paris avec des écrivains et peintres d’avant-garde, il abandonne assez vite le droit pour l’écriture. Il écrira surtout des poèmes, mais aussi des critiques sur l’art, principalement la peinture, et quatre pièces de théâtre.

En 1891 - il a 36 ans -, il épouse Marthe Massin, qui sera le grand amour, grand et durable, de sa vie. Autre événement, malheureux celui-là, et partagé par des millions de gens, c’est en 1914, la Première Guerre mondiale et l’occupation par les Allemands de la Belgique, malgré sa neutralité.

En 1916, une mort stupide l’attendait sur le quai de la gare de Rouen : il y avait beaucoup de monde, il tomba sous les roues d’un train. Il avait 61 ans. Ironie du sort : dix ans auparavant, dans un poème de son recueil La Multiple Splendeur, on pouvait lire ceci :

Sur un chemin compact, de pierraille et de cendre,
À travers bois, taillis, fleuves, moissons et prés,
Sous les pâles matins ou les couchants pourprés,
Les trains quotidiens font le tour de la Flandre.

Jadis, on les voyait rouler presque avec crainte :
Les bœufs fuyaient là-bas ; les pigeons familiers
Désertaient les recoins de leurs blancs colombiers.
La mort semblait peser où pesait leur empreinte.

Mais, aujourd’hui, leur va-et-vient au long des champs
Fait à peine trembler le seuil d’une demeure,
Et leur passage annonce aux travailleurs quelle heure
Le jour qui marche et fuit jette au soir approchant.