1858-1915 - Le Mercure de France, Berthe et Natalie

Il est né en 1858 dans une famille de petite noblesse originaire du Cotentin. Son père était d’un caractère indécis et joyeux, sa mère cassante probablement sans méchanceté, très active, notamment pour s’occuper des malades de la région, et catholique, d’esprit très religieux et prosélyte. Remy, résolument sceptique, eut des mots avec elle à ce propos.

il fit de bonnes études secondaires au Lycée de Coutances, en Basse-Normandie. À 17 ans, il commença à Caen des études de droit mais se passionna bien plus pour le latin médiéval que pour celui des juristes et il se tourna vers l’écriture.

En 1881, il s’installe à Paris, où il trouve un emploi à la Bibliothèque nationale. Et, dès ce moment - il a 23 ans, il est timide encore et d’humeur solitaire -, des articles de lui sont publiés dans diverses revues. Très vite suivront des livres, notamment des récits pour les distributions des prix dans les établissements scolaires.

C’est en 1886 - il a 27 ans -, qu’il rencontre une femme très originale, Berthe de Courrière. Elle a 34 ans. Charles Dantzig la qualifie de « femme à artistes ». Elle avait été la maîtresse, entre autres, du sculpteur Clésinger, décédé en 1883 : la Marianne de la salle des conférences du Sénat, elle en a peut-être été le modèle. Selon Alfred Jarry*, dont les affirmations ne sont pas toujours dignes de confiance, elle aurait aussi séduit le général Boulanger, bien que celui-ci, à ma connaissance, ne réponde guère à la qualification d’artiste ! Voici comment la décrit Charles Dantzig : « avec son allure de souillon mystique, de mégères à idées, de Folle de Saint-Sulpice, elle arpentait Saint-Germain-des-Prés, grande, le visage couperosé, coiffée d’un postiche et portant un cabas brodé au point de croix ». Volubile, hâbleuse et sans-gêne, elle était tout le contraire de Remy ! Elle se vantait de s’adonner au satanisme et entraîna de Gourmont à des séances de tables tournantes. C’est surtout grâce à elle qu’il devint moins solitaire, menant même, jusqu’à la funeste irruption du lupus, une vie assez mondaine, fréquentant les écrivains et artistes de l’époque, notamment Villiers de l’Isle-Adam, qui l’introduisit aux mardis de Mallarmé, et Huysmans, avec qui il entretint des relations très amicales entre 1889 et 1892.

En 1889, voici un événement important dans sa vie, pas si plate que l’affirme son biographe : la création d’une revue qui allait paraître jusqu’en 1965, Le Mercure de France et dont Remy de Gourmont sera l’un des plus solides piliers, à côté d’Alfred Valette, son fondateur et directeur. Entre autres, Léautaud rejoindra l’équipe et, plus tard, deviendra pour longtemps le secrétaire général de cette célèbre revue.

Deux autres événements méritent d’être notés.

En 1891, il est renvoyé de la Bibliothèque Nationale, à la suite de la publication dans Le Mercure de France d’un pamphlet intitulé « Le Joujou patriotisme ». À propos de l’Alsace et de la Lorraine, il s’en était pris à ceux qui se réclamaient du patriotisme. « La question, du reste, avait-il écrit, est simple : l'Allemagne a enlevé deux provinces à la France, qui elle-même les avait antérieurement chipées : vous voulez les reprendre ? Bien. En ce cas, partons pour la frontière. Vous ne bougez pas ? Alors foutez-nous la paix ». Et il condamnait ce patriotisme qu’il qualifiait de nouveau » sous la forme épaisse qu'il assume depuis vingt ans, car son vrai nom est vanité : nous sommes la civilisation, les Allemands sont la barbarie ».

Le second événement est d’un autre ordre. Berthe de Courrière et lui vivront en bonne entente dans la même maison de la rue des Saints-Pères jusqu’à la fin. Mais en 1910, dans cette vie « dépourvue d’agitation » selon Charles Dantzig, il est pris d’un amour fulgurant pour Natalie Clifford Barney, à qui il écrira les Lettres à l’Amazone. Natalie Barney, c’est cette femme de lettres américaine, ouvertement lesbienne, que nous avons déjà rencontrée ici, à la Cave, lorsque nous avons présenté les poèmes de Renée Vivien, et qui a tenu un salon littéraire à Paris pendant près de soixante ans : ce n’était pas le mardi comme pour Mallarmé, c’était le vendredi.

En 1915 une congestion cérébrale emporte Remy de Gourmont. Il a été inhumé au Père Lachaise dans le tombeau de Clésinger, dont Berthe était la légataire universelle. Celle-ci l'y rejoindra un an plus tard.

* Exemple de plaisanterie d’Alfred Jarry : il avait inventé un dialogue entre « la vieille dame »  (Berthe de Courrière) et le « vieux daim » (R. de G.) !

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Pierre Blavin - Remy de Gourmont, un sceptique un peu mystique - 2