Souvenir d’enfance

Comme le cœur me bat quand j'approche du lieu
Où cent fois, par un temps superbe,
Quand j'étais tout petit, je me roulais sur l'herbe !
Maman venait me joindre et disait : Prions Dieu.

J'avais quatre ans alors, je commençais à vivre,
Un papillon passait, après lui de courir :
Et si je l'attrapais, de plaisir j'étais ivre,
Je pleurais, dans ma main il venait à mourir.

C'est le temps du bonheur que celui de l'enfance ;
Une pomme, un baiser, avec le chien bondir,
Tomber vingt fois par jour, mettre une mère en transe,
Rire, quand une bosse au front vient s'arrondir ;

Affronter les frimas, toujours les pieds humides,
Dans un fossé fangeux laisser ses deux sabots,
Braver mille dangers, toux et fièvres putrides ;
Pour dénicher un nid, mettre tout en lambeaux.

Je ne l'oublierai pas, la chaumière enfumée
Où, las, tout en haletant, je revenais le soir,
Et puis, sur les genoux d'une mère alarmée,
Je m'endormais content en lui disant bonsoir.

Mais bien jeune au tombeau ma mère est descendue,
Et son dernier adieu n'ai pu le recevoir !
Il ne me reste rien, ma chaumière est vendue,
Et sur son seuil de bois je n'irai plus m'asseoir.

Poésies, 1839

Marie-Éléonore Magu (1788-1860), le Bonhomme Magu, comme l'appelait George Sand, fut colporteur avant de devenir, vers l'âge de vingt ans, tisserand.

On peut lire sur le site « Gallica » de la BNF Poésies de Magu (1845), avec une préface de George Sand.