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Quelques étapes de sa vie

Voici quelques compléments aux réponses au questionnaire du « Cabinet de lecture révolutionnaire ». À dix-neuf ans, en 1911, elle rencontre Sergueï Efron, d'un an plus jeune qu'elle, encore lycéen, s'enflamme, l'épouse contre l'avis de sa famille.

Son mari demeure, quoi qu'elle fasse, l'axe de toute sa vie. En 1918, elle lui écrit : « Si Dieu accomplit le miracle de vous garder en vie, je vous suivrai partout comme un chien ». Vingt et un ans plus tard, au moment de rentrer en URSS, en relisant ce texte, elle ajoute cette note terrible d'acceptation lucide : « Et voilà, je vais partir maintenant comme un chien ».

Cet homme est comme un fil conducteur, mais la vie amoureuse de Marina Tsvétaïéva est - façon de parler - très intense et multiple. Dans ses écrits, elle évoque ses amours, amours-passions pour des poètes et poétesses, des comédiens et comédiennes. Elle vit aussi, avec tout autant d'intensité, d'autres amours rêvées comme, par exemple, avec le poète allemand Rainer Maria Rilke, qu'elle n'a jamais vu.

Elle a trois enfants : une première fille Ariadna née en 1912, une seconde fille Irina en 1917, et un fils Guéorgui, né en 1925, qu'elle surnomme Mour, comme amour en hommage à Hoffmann.

Après la Révolution de 17, et jusqu'à la fin de sa vie presque sans discontinuer, Marina Tsvétaïéva va connaître la misère, la faim, le froid, la peur. Elle raconte le « grenier-cabine » qu'on lui a laissé dans la maison devenue « communautaire », la rampe de l'escalier qu'elle débite à la hache pour allumer le poêle, l'obsession de manger, la corvée de ravitaillement pour tenter d'échanger quelques mètres d'indienne rose contre du millet, le travail imbécile au Narkomnat (le commissariat aux nationalités que dirige Staline), l'unique travail de bureau rémunéré qu'elle ait jamais accompli, et qui lui donne droit aux cartes de ravitaillement et à sa part d'une infâme pâtée de pommes de terre gelées. En 1920, Irina, sa deuxième fille, meurt de malnutrition.

Son mari qui a fait l'école des officiers, rejoint l'armée blanche, et durant quatre ans et demi elle reste sans nouvelles de lui, le croyant même mort. Lorsqu'elle apprend enfin qu'il est vivant, elle part le rejoindre à Berlin en mai 1922.

L'exil commence, il va durer 17 ans.

La famille va d'abord s'installer en Tchécoslovaquie, non loin de Prague. Puis, fin 1925, elle s'installe en France à Paris puis en banlieue (Bellevue, Meudon, Vanves).

En 1928, elle rencontre à Paris le poète Vladimir Maïakovski, chantre de la révolution bolchévique. Elle salue en lui un grand poète des temps nouveaux. Elle a déjà de mauvais rapports avec l'émigration russe. Mais cette fois, c'est la rupture définitive, d'autant plus que son mari se rapproche progressivement des positions soviétiques. Il devient un des permanents d'une « Union pour le retour à la patrie », puis un agent des services secrets soviétiques. Il est obligé de partir à Moscou, lorsqu'en 1937 il est mouillé dans l'assassinat d'un agent secret qui refuse de poursuivre ses activités au service de l'URSS.

Difficile de comprendre pour quelle raison Marina Tsvétaïéva décide deux ans plus tard de quitter à son tour la France... La misère ? La solitude ? L'insistance de son fils Mour ? L'hostilité que lui témoignent la plupart des émigrés, car, parmi les nostalgiques de la poésie raffinée de St Pétersbourg, Marina Tsvétaïéva avec sa voix forte, la violence de ses passions, de ses harangues et de ses invectives ne peut que détonner ? Le désir d'être lue en Russie, alors que le dernier livre qui y a été édité de son vivant, Après la Russie, l'a été en 1928 ?

« En Russie, je suis un poète sans livre, ici, un poète sans lecteurs. Ce que je fais personne n'en a besoin. » écrit-elle alors.

Elle décide donc de retourner en Russie rejoindre son mari et sa fille. Avec son fils, elle s'embarque au Havre, et arrive à Moscou le 18 juin 1939. La famille est réunie près de Moscou, dans une maison du KGB.

Elle y apprend que sa sœur a été arrêtée en 1937, puis elle assiste à l'arrestation d'Ariadna fin août, (elle restera en déportation 16 années, puis en relégation), puis à l'automne à celle de son mari (il sera fusillé le 16 octobre 1941). Son fils Mour mourra quant à lui au combat en Lettonie en 1944.

En 1941, c'est l'invasion de l'URSS. Marina Tsvétaïéva est évacuée à Elabouga, village de Tatarie en Asie centrale, et s'y suicide.

Destin terrible donc que celui de Marina Tsvétaïéva l'émigrée, revenue au pays pour se pendre le 31 août 1941. « Profession : évacuée » telle est la formule lapidaire rédigée sur son certificat d'inhumation.

Dans son histoire de la littérature russe soviétique (L'Âge d'homme, 1985) Marc Slonime, qui a été l'ami et l'éditeur de Marina Tsvétaïéva, évoque l'ascétisme et l'exigence envers elle-même de celle que ses ennemis littéraires ont surnommée « amazone de la poésie ». Accusée d'être trop égocentrique, trop excessive, elle a alors répondu que « la seule tâche de l'homme sur la Terre est la découverte de sa propre vérité : les vrais poètes sont toujours prisonniers d'eux-mêmes. Cette forteresse est plus solide que celle de Pierre-et-Paul. »

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