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Les réponses de Marina Tsvétaïéva à un questionnaire sur sa vie

Pour débuter sa présentation, le plus simple est de donner la parole à Marina Tsvétaïéva.
En effet, en avril 1926, elle reçoit une lettre de Boris Pasternak, qui la prie de répondre à un questionnaire élaboré par le « Cabinet de littérature révolutionnaire » en vue de l'établissement d'un dictionnaire bibliographique des écrivains du XXe siècle.

Sa réponse est la suivante (à l'exception de la liste chronologique de ses œuvres de l'époque) :
« Nom : Marina Ivanovna TSVETAÏEVA. Née le 26 septembre 1892 à Moscou.

Origine sociale : Noblesse

Père : fils d'un prêtre du gouvernement de Vladimir, philologue de renommée européenne (ses recherches : Les inscriptions Ossètes), docteur honoris causa de l'université de Bologne, professeur d'histoire de l'art, d'abord à l'Université de Kiev, puis à celle de Moscou, directeur du musée Roumiantsiev, fondateur, inspirateur et collectionneur unique du premier musée des Beaux Arts de Moscou (Znamenka). Un héros du travail. Mort à Moscou en 1913, peu de temps après l'inauguration de ce musée. A légué sa fortune personnelle (modeste, car il aidait volontiers) à l'école de Talitsy (son village natal, gouvernement de Vladimir). A légué sa bibliothèque énorme, fruit de son travail et de bien des peines, sans en distraire un seul volume, au musée Roumiantsiev.

Mère : de la noblesse polonaise, élève de Rubinstein, possédant un don musical rare. Est morte de bonne heure. La poésie me vient d'elle. Elle a également légué sa bibliothèque (la sienne et celle de mon grand-père) au musée. Les Tsvétaïev ont ainsi légué trois bibliothèques à Moscou. J'aurai bien donné la mienne si, durant la Révolution, je n'avais dû la vendre.
Première enfance : Moscou et Taroussa (un nid de Vieux-Croyants sur l'Oka), de 10 à 13 ans à l'étranger (mort de ma mère), jusqu'à 17 ans retour à Moscou. N'ai jamais vécu dans un village russe.

Influence dominante de ma mère (musique, nature, poésie, Allemagne. Passion pour la judéité. Seul contre tous. Eroïca). Influence plus secrète, mais non moins forte, du père (passion du travail, absence d'arrivisme, simplicité, renoncement). Influence conjuguée de mon père et de ma mère : caractère spartiate. Deux leitmotive dans la même maison : Musique et Musée. Ambiance non bourgeoise, non intellectuelle : de chevalerie. Vie sur le mode élevé.

Succession des événements spirituels : toute ma prime enfance - la musique ; 10 ans - la Révolution et la mer (Nervi près de Gênes, nid d'émigrés) ; 11 ans - le catholicisme ; 12 ans premier sentiments de la Patrie (Le Varègue, Port Arthur) ; de 12 ans jusqu'à présent : l'épopée napoléonienne ; 13, 14 et 15 ans - la Liberté du Peuple, recueil de Le Savoir, le discours du Don, la politique économique de Jéleznov, les vers de Tarassov ; 16 ans - rupture avec l'idéologie, passion pour Sarah Bernhard (L'Aiglon), explosion de bonapartisme ; de 16 à 18 ans - Napoléon (Victor Hugo, Béranger, Frédéric Masson, Thiers, mémoires, culte de l'Empereur). Poètes français et allemands.

Premier contact avec la Révolution en 1902-1903 (émigrés), second en 1905-1906 (Yalta, les S.R.). Il n'y a pas eu de troisième.

Succession des lectures préférées : (chacune correspond à une époque) Ondine (petite enfance), Hauff-Lichtenstein (adolescence). L'Aiglon de Rostand (prime jeunesse). Plus tard et jusqu'à ce jour : Heine, Goethe, Hölderlin. Les prosateurs russes (je parle de mon moi actuel) Leskov et Aksakov.. Les poètes russes Derjavine et Nékrassov. Des contemporains : Pasternak.

Vers préférés dans l'enfance : À la mer de Pouchkine et la Source brûlante de Lermontov. Deux fois le Roi des Aulnes et Erlkönig. Les Tsiganes de Pouchkine de 7 ans à ce jour à la folie. Je n'ai jamais aimé Eugène Onéguine.

Les livres que j'aime le plus au monde : ceux avec lesquels on me brûlera : les Nibelungen, l'Iliade, le Dit de l'Ost d'Igor.

Mes pays préférés : la Grèce antique et l'Allemagne.

Instruction : à 6 ans École de Musique Zograf-Plaxina ; 9 ans Quatrième Collège de Jeunes filles ; 10 ans rien ; 11 ans pension catholique de Lausanne ; 12 ans pension catholique de Fribourg (Forêt Noire) ; 13 ans collège de Yalta ; 14 ans pension Afiorova à Moscou ; 16 ans collège Brioukhanenko ; études arrêtées en 8ème (seconde de lycée en France). À 16 ans ai suivi les cours d'été à La Sorbonne : littérature française ancienne.

Mention sous ma première rédaction de français (11 ans) : trop d'imagination, trop peu de logique.

J'écris des vers depuis l'age de 6 ans. Je les publie depuis l'age de 16 ans. J'en ai aussi composé en français et en allemand.

Mon premier recueil : Album du soir. Je l'ai diffusé moi-même étant encore au collège. Première critique : un grand article de bienvenue de Max Volochine. Je ne me connais pas d'influences littéraires. Humaines, oui.

Mes écrivains préférés contemporains : Rilke, R. Rolland, Pasternak. J'ai été publiée dans les revues suivantes : les Notes du Nord (1915) et aujourd'hui à l'étranger, principalement dans La Liberté de Russie, dans Nos propres voies, et dans le Bien-intentionné (flanc littéraire gauche), partiellement dans les Notes contemporaines (plus à droite). Parmi les journaux, dans Jours, partiellement dans les Dernières nouvelles (plus à droite). En raison de sa profonde inculture, je ne publie rien dans la presse de droite.

Je n'ai appartenu et n'appartiens à aucune tendance poétique ou politique. J'ai adhéré à l'Union des Ecrivains et je crois des Poètes, pour des raisons strictement matérielles.

Ce que je préfère au monde : la musique, la nature, les vers, la solitude. Indifférence absolue à l'opinion publique, au théâtre, aux arts plastiques, au spectacle. Mon sens de la propriété se limite à mes enfants et à mes cahiers.

Si j'avais des armes parlantes, j'y aurais inscrit Ne daigne.
La vie est une gare, je vais bientôt partir, je ne dirai pas où. »

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