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Souvenirs impérissables
Gérard Trougnou, janvier 2004

La première fois, c’était en été ou en automne, je ne me souviens plus très bien, mais ce dont je suis sûr, c’était l’année soixante-dix, mille neuf cent soixante-dix. J’avais alors dix neuf ans et je traînais ma carcasse dans les rues de Champigny-sur-Marne du côté des cités jardins, à la recherche de la voyageuse qui, quelque temps auparavant, de ses yeux bleus, m’avait souri. Mes recherches évidemment furent infructueuses, et j’errais la tête dans les étoiles, quand soudain, passant devant le disquaire non loin de la place François Villon, je vis comme en lettre d’or, les mots : AMOUR, ANARCHIE.

Je restais un moment le nez collé à la vitrine, comme hypnotisé. Le mot Anarchie m’interpella plus que le mot Amour, c’est plus tard que je compris le sens de ces deux mots, ils ne faisaient qu’un. J’entrais alors dans la boutique et repartais avec mon 33 Tours que je m’empressais dés mon retour à la maison de faire tourner sur l’électrophone. Les mots me touchèrent au plus profond de mon être et déjà quand en ce temps lointain mon mal intérieur me triturait l’esprit, je m’enfermais dans ma chambre et buvais les mots de Léo et je sentais en moi comme un réconfort, un bien-être qui m’envahissait. Ce que je ne pouvais exprimer, Léo Ferré le formulait pour moi avec ses mots. « Ecoute-moi, Cette blessure, Sur la Scène, Paris c’est une idée, Psaume 151, Le mal ».

Les années passèrent, treize années pour être plus précis, treize ans et je n’avais pas oublié Léo.

Brel, Brassens, des êtres que j’affectionne et que je n’ai hélas jamais vu sur scène m’échappèrent, alors Léo ne m’échapperait pas et de mille neuf cent quatre vingt trois à mille neuf cent quatre vingt douze, je ne ratai aucun concert que Léo donna à Paris et l’Ile de France.

C’était à chaque fois une découverte, comme si Ferré était un nouveau venu dans le paysage de la poésie et de la chanson française. Ce vieux bonhomme de noir vêtu chantant et parlant de sa révolte, de ma révolte ! Me bousculait l’sentimenteux comme on dit au Québec. « Je suis arrivé malade, je repars guéri » ces mots relevés sur un livre d’or me reviennent souvent en mémoire et c’était à chaque rencontre avec le poète le même phénomène. J’arrivais malade et repartais guéri, revigoré, plein d’entrain pour affronter l’adversité du monde. Quand Léo démarrait « Les Anarchistes », le public debout le poing levé chantait à l’unisson ! Aujourd’hui, Léo est toujours présent et à chaque fois que je l’écoute chanter Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Apollinaire, Aragon, je le revois seul assis devant les touches du piano à queue, chantant et parlant parfois, pour moi c’est le seul parégorique qui me fasse du bien-être, merci, merci Monsieur Léo Ferré de m’avoir fait éviter les sempiternels rendez-vous chez un psy et autre voyeur de l’inconscient.

Merci, Monsieur Léo Ferré, d’avoir rendu la poésie accessible.

©G. Trougnou
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