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Desnos et les femmes

Le premier amour

Dans son poème intitulé Quartier Saint-Merri, il a évoqué non seulement ce quartier mais aussi celle qui fut sans doute son premier amour. Il s'agit de la fillette fugueuse de treize ans signalée plus haut.

Dans sa biographie de Desnos, Dominique Desanti, qui en 1942 a recueilli beaucoup de confidences du poète, raconte comment la « fillette » du poème partit ce soir-là bras dessus bras dessous « avec le collégien qui la faisait rire parce qu'il riait » et lui disait : « La vie est belle de se refléter dans tes prunelles ». S'ensuivirent, nous dit-elle, de tendres promenades, surtout nocturnes : 

Ah, voir se dérouler - ensemble
La nuit calme et le jour qui tremble
Le crépuscule et l'aube et minuit et midi

écrira plus tard Desnos.

C'est le pharmacien qui mit fin à l'idylle en installant cette fille d'à peine 14 ans dans un autre quartier, pour « faire la vie » comme on disait à l'époque.

Yvonne George

D'habitude, Desnos ne veut pas aller au Bœuf sur le Toit, parce que c'est le repaire de Jean Cocteau et de « sa bande de snobinards », comme il dit. Pourtant, un soir de 1925, Henri Jeanson l'entraîne rue de Penthièvre, où vient de s'installer ce haut lieu des nuits parisiennes, pour lui faire entendre une chanteuse, dont il ne lui dit même pas le nom. Dominique Desanti raconte :

« La petite porte s'ouvre. Est-ce un cygne, cette silhouette moulée de noir depuis ses longues jambes jusqu'aux poignets et à ce cou qui porte une petite tête claire ? Un cygne noir aux cheveux très courts, crantés et blonds, ou une grande blonde en noir au long cou droit ? Elle se coule contre le piano. Immobile. [...]

Robert fixe de face le visage pâle du cygne noir. Dans un halo de fard violet - comme les ongles des mains qui s'écartent -, il reçoit un regard de Pierrot qui va pleurer à la lune, un regard de noyée. Est-ce la lumière de la boule miroitante qui tourne au plafond bas ? Paupières, cils, ongles et lèvres ont la violence des iris peints par Van Gogh. Rien dans cette silhouette, ce visage, qui ne soit défi, douleur, imploration...

La voix de la chanteuse annonce un titre.

Robert met un instant pour comprendre que c'est un titre de chanson.

La voix passe du cuivre au bronze avec parfois une sorte de fêlure comme l'aiguille sur un disque trop joué, à peine sensible et déchirante. Voix, gestes, tout l'être refuse tout. Robert enlève ses lunettes humides.

Après une autre chanson, il a des larmes sur les joues.

Il ne sait même pas son nom à celle qui est là, celle qui vient, celle qui est venue. Cette voix qui entre en lui, il la possède. Des mots tournoient que bientôt il écrira mais qui pour l'heure tourbillonnent, n'ont pas trouvé leur place. »

Nous en entendrons tout à l'heure quelques-uns, de ces mots. En tout cas, si l'on en croit Dominique Desanti, c'est le même jour et au même endroit qu'il aperçut pour la première fois, mais de dos - dos nu, il est vrai -, celle qui sera plus tard sa sirène, Mme Foujita, c'est-à-dire Youki. La vraie rencontre aura lieu en juin 1928 au dernier gala d'Yvonne George, justement. Mais jusqu'à la mort de la chanteuse en avril 1930, Desnos vouera à celle-ci un amour désintéressé, presque mystique, l'accompagnant souvent dans son enfer d'alcool et de drogue, l'opium principalement.

Youki

En août 1930, Desnos randonne en Bourgogne avec les Foujita qui sont devenus ses amis. Cela donnera un joyeux récit intitulé Voyage en Bourgogne.

En 1931, Desnos va habiter rue Lacretelle avec les Foujita. Il y restera à peine deux ans. Foujita, charmé par une certaine Mary Dormans et lassé par l'inconstance et les nuits alcoolisées de Youki, quitte définitivement Paris en la confiant à Robert ! En 1933, celui-ci emménagera rue Mazarine avec elle, qui continuera à mener une vie libre et insouciante, maintenant aux frais de Desnos :

« J'ai la responsabilité de Youki. Elle ne sait pas gagner d'argent mais elle le dépense avec talent, ce qui n'est pas un don si commun. »

expliquera-t-il un jour à Dominique Desanti.

Quoi qu'il en soit, à travers quelques merveilleux poèmes, nous entendrons parler tout à l'heure de l'hippocampe et de sa sirène, et aussi de l'anémone Yvonne.

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