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Un secret bien gardé / Le secret

Un secret bien gardé

J’ai confié un secret à l’ami Marcelin
Car j’avais foi en lui, et croyais ça malin.
Ajoutant « Attention surtout ne le dis pas
Même si tu reçois des coups, si on te bat. »
J’avais cru, avec lui, bien placer ma confiance.
J’aurais dû, c’est bien sûr, être plein de défiance,
Surtout ne pas dormir, me croyant à l’abri,
En confiant mon secret à l’ami favori.
Car j’allais entendre ce secret en retour
Et cela aussitôt que passé le premier jour.
Et de plus augmenté par chaque intermédiaire
Qui se plaît à changer et surtout exagère.
Quand l’ami vous trahit on vieillit de vingt ans.
Le secret révélé, les cheveux viennent blancs.
Savez-vous qu’avant-hier mercredi, non mardi,
Je me suis bien vengé. » Faux ami » ai-je dit. 
Il devint tout penaud, à jamais confondu,
Ramolli, tel un sucre en entier, tout fondu.
De leçon ce cas-là peut servir à chacun.
Un petit opuscule un bon mémorandum.
Faut garder souvenir des principes à tenir.
Le premier est de rien confier, s’abstenir.
Le secret bien gardé est celui qu’on ne dit
Car secret confié trop souvent est redit.
Rien dire et rester coi du secret c’est la loi.
Car sinon il revient et on est plein d’effroi.
Pensez-vous que j’allais révéler mon secret ?
Non car un vrai secret reste toujours scellé.

 

Le Secret

Janine malheureux enfant de Mathieu
Est née en Normandie. Elle vécut en ce lieu
Très pluvieux où comme son père elle était
Grand peintre. Mais les siens refusaient d’évoquer
Les motifs du décès de son papa. Ce secret
Empêchait Janine en deuil de s’en libérer.
Ne pouvant évoquer la perte de son père
Et ainsi le pleurer, ce qui la désespère.
Elle admire au logis des tableaux peints par lui
Mais masqués de toiles d’araignées. Quel ennui.
Souhaitant deviner par là mêm’le secret
Du décès de son père un secret bien gardé.
Elle crut le récit qu’on lui fit relatant
Que son papa parti à Paris, exposant
Ses tableaux, n’en revint jamais plus, fait fatal,
Terrassé soi-disant par un AVC très brutal.
Janine souhaitant questionner se heurta
À un mur. On ignora, prudents, ses desiderata.
Le secret fut gardé bien longtemps vingt-cinq ans.
C’est alors que sa mère leva le secret, ce carcan.
Son mari a voulu qu’elle avorte. Voilà, tiens,
Le secret révélé. Janine voudrait bien
Faire son deuil. Toutefois elle pense à ces femmes
Bien damnées, dont la vie a été un grand drame.
Elles n’ont pu avorter que par des moyens
Ayant donc entraîné leur décès microbien,
Avorter étant interdit avant la loi Veil.
Janine souffre avec elles mais a fait son deuil.
Voilà donc Janine doublement bienheureuse
Désormais contente elle qui fut malheureuse.
Car ayant réussi à trouver le secret
Et pris part en plus aux douleurs des avortées.

© Pierre Daumas
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