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Épitre dédicatoire à Mademoiselle Clémence de Bourges, Lyonnaise

Estant le temps venu, Mademoiselle, que les sévères lois des hommes n’empêchent plus les femmes de s’appliquer aux sciences et disciplines, il me semble que celles qui en ont la commodité doivent employer cette honnête liberté que notre sexe a autrefois tant désirée, à apprendre celles-ci, et montrer aux hommes le tort qu’ils nous faisaient en nous privant du bien et de l’honneur qui nous en pouvaient venir. Et si quelqu’une parvient en tel degré, que de pouvoir mettre ses conceptions par écrit, le faire soigneusement et non dédaigner la gloire, et s’en parer plutôt que de chaînes, anneaux et somptueux habits ; lesquels ne pouvons vraiment estimer nôtres que par usage. Mais l’honneur que la science nous procurera, sera entièrement nôtre, et ne pourra nous être ôté par finesse de larron, ni force d’ennemis, ni longueur de temps.

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Si nous ne sommes faîtes pour commander, nous ne devons pour autant être dédaignées comme compagnes tant en affaires domestiques que publiques, de ceux qui nous gouvernent et se font obéir. Et outre la réputation que notre sexe en recevra, nous aurons valu au public que les hommes mettront plus de peine et d’étude aux sciences vertueuses, de peur qu’ils n’aient honte de se voir précédés par celles, desquelles ils ont toujours prétendu être supérieurs en tout.

[...]

S’il y a quelque chose de recommandable après la gloire et l’honneur, le plaisir que l’étude des lettres a accoutumé donner nous y doit chacune inciter.. Et qui est autre que les autres récréations, desquelles, quand on en a pris tant que l’on veut, on ne peut se vanter d’autre chose que d’avoir passé le temps. Mais celle de l’étude laisse un contentement de soi qui nous demeure plus longuement. Car le passé nous réjouit et sert plus que le présent. Mais les plaisirs des sentiments se perdent incontinent et ne reviennent jamais. Et en est la mémoire autant fâcheuse comme les actes ont été délectables. Davantage les autres voluptés sont telles que, quelque souvenir qui en vienne, il ne peut nous remettre en telle disposition où nous étions. Et quelque imagination forte que nous imprimions en la tête, nous ne reconnaissons que trop bien que c’est une ombre du passé qui nous abuse et trompe. Mais quand il advient que nous mettons par écrit nos conceptions, bien que notre cerveau pris par une infinité d’affaires court et remue, même longtemps après, reprenant nos écrits, nous revenons au même point et à la même disposition où nous étions. Lors nous redouble notre aise car nous retrouvons le plaisir passé que nous avions eu en la matière que nous écrivions ou en l’intelligence des sciences auxquelles nous nous étions adonnées.

[...]

 

 

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